20e Congrès à Sinaïa25 Juin - 2 Juillet 2006Résumés des communicationsMardi 27 juin 2006 |
Mardi 27 juin, 9h00-10h30
Session I. Variations sur le thème de la quête identitaire I
Président : Jean-Denis CÔTÉ
Secrétaire : Christiane MELANÇON
« Les Autochtones imaginés par le Québécois Yves Thériault – Réciprocité des perspectives », Evelyne MÉRON, Université Bar-Ilan
L’arrivée des Français au Canada a causé évidemment beaucoup de tort aux Autochtones. Cependant, ce tort a été largement involontaire ; et la littérature canadienne-française, puis québécoise, témoigne d’une estime et d’une tendresse indéfectibles envers ces Autochtones, tendresse devenue gênée et coupable aux XIXe et XXe siècles. Yves Thériault (1915-1983), à l’œuvre immense, extrêmement variée, consacre plusieurs romans aux Amérindiens et Inuit. Ses Autochtones jettent à leur tour un regard sans méchanceté ni complaisance sur les valeurs de ces Blancs qui les dominent. Ashini montre un Amérindien qui espère, à tort, attirer l’attention du Gouvernement blanc, le convaincre des mérites, donc des droits, de son peuple. Cet idéaliste mourra de sa grave erreur. Mais le lecteur retiendra la richesse et l’élévation de la cause amérindienne. Dans N’Tsuk, une vieille Indienne résignée déplore le déclin de sa culture, pourtant plus propice au bonheur. Le Ru d’Ikoué donne un exemple d’éducation indienne ; des silhouettes blanches y paraissent, soulignant la sagesse indigène. Bien troublants sont Agaguk et ses suites, romans Inuits ; notre morale a-t-elle une valeur absolue ? Faudrait-il l’enseigner à qui n’y voit que tyrannie étrangère ? Faire regarder notre société par des étrangers, cela évoque les Lettres persanes de Montesquieu, Micromégas de Voltaire. Mais, ici, les Autochtones représentés existent ; nul ne dirait : “Comment peut-on être Amérindien ?”. Thériault, même, insinue qu’il descendrait d’Indiens ! Ces Indiens, réclamant aux Québécois les mêmes droits que ceux-ci réclament des Anglo-Canadiens, viennent soulever des questions liées à l’appropriation du territoire et, par extension, à l’identité : la leur et celle de leurs interlocuteurs.
« D’Amérique et d’Afrique : poésie contemporaine, transculturalité et identité », Christiane MELANÇON, Université du Québec en Outaouais
À partir d’un corpus de poésies contemporaines francophones des deux continents soumis à une approche comparative, nous examinerons comment des poètes d’origines géographiques et culturelles différentes partagent une langue d’écriture tout en évoluant dans un territoire d’exil, d’installation ou d’élection réel ou symbolique où ils se rejoignent tout en affirmant leur identité propre. Cette étude permettra de mieux connaître les trajectoires des écritures poétiques, ainsi que de réfléchir à l’impact de la transculturalité ou de l’hybridation sur la construction et la transformation des identités telles qu’elles s’expriment en poésie. La notion de création poétique comme moyen de reterritorialisation symbolique servira de trame à notre travail.
« Quête identitaire, langue d’écriture et institution littéraire de référence dans la littérature acadienne récente », Raoul BOUDREAU, Université de Moncton
La quête identitaire est particulièrement manifeste chez les écrivains de petites littératures en quête de légitimité et de reconnaissance. Ces écrivains sont partagés, d’une part, entre la nécessité de se construire une identité propre en misant sur des différences régionales notamment véhiculées par la langue et, d’autre part, par la volonté d’accéder à un rayonnement supra-national en se rattachant à des institutions littéraires dominantes qui ont pour effet de niveler leurs différences. Ainsi, l’écrivain des littératures minoritaires accentue la situation paratopique décrite par Dominique Maingueneau comme caractéristique de l’écriture littéraire. Cet écrivain oscille entre la différenciation et l’assimilation par rapport à la langue d’écriture choisie, à l’institution littéraire dans laquelle il tente de s’insérer et au public cible qu’il cherche à atteindre. La situation sociale, politique et institutionnelle de cet écrivain détermine la mise en scène d’une identité multiple, mobile et tourmentée, dont la première tâche est de légitimer sa propre énonciation et la scénographie qu’elle emprunte. Nous tenterons d’illustrer ce paradigme identitaire dans la littérature acadienne récente en nous appuyant sur des textes d’Antonine Maillet, France Daigle et Herménégilde Chiasson.
« La quête identitaire dans La fugue d’Antoine de Danielle Rochette », Jean-Denis CÔTÉ, Université Laurentienne
En 1744, sur l’Île Royale, la guerre est aux portes de Louisbourg, cette forteresse française d’Amérique du Nord convoitée par les Anglais. Pendant que sa mère accouche, le jeune Antoine Rodrigue, 12 ans, choisit de passer la nuit chez un ami plutôt que de prendre soin de ses sœurs. Le lendemain matin, le choc est brutal : Antoine constate que le milieu environnant est complètement transformé, et pour cause : il est sur l’Île-du-Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse, deux siècles et demi plus tard. Tout au long du récit, le lecteur assiste au cheminement du personnage principal qui évolue sur les plans intellectuel, moral et affectif. Antoine doit composer avec une nouvelle réalité, une nouvelle société. Le voyage dans le temps dont il est victime le conduit non seulement à s’interroger sur la société contemporaine et celle d’où il vient, mais également sur ses propres valeurs. Grâce à Hans et David, deux adolescents avec lesquels il se lie d’amitié, Antoine parvient à mieux comprendre ce qui lui arrive. Le héros se remet alors en question et lorsqu’il découvre ce qui a provoqué le voyage dans le temps, il fera face à un dilemme : demeurer dans la société de 1994 ou retourner en 1744, auprès de sa famille. Véritable roman d’apprentissage, La fugue d’Antoine, finaliste au Prix du Gouverneur général en 1998, offre une narration bien particulière qui favorise la multiplicité des points de vue. En effet, le titre de chaque chapitre indique l’identité du narrateur qui s’exprime toujours au « je ». Les travaux de Claire Le Brun nous permettront de dégager les caractéristiques propres à cette forme romanesque, notamment le développement du sens critique chez le lecteur adolescent.
Session II. Enjeux culturels de la traduction
Présidente : Mariana IONESCU
Secrétaire : Rosalia BIVONA
« Détournement de langues : comment et pourquoi La Fin tragique de Philomène Tralala de Fouad Laroui n’a pas été traduit en italien », Rosalia BIVONA, Université de Cergy Pontoise
Pourquoi Fouad Laroui, auteur marocain à l’humour grinçant, tonique et confondant, à la fois tellement drôle, anecdotique et universel, n’a-t-il jamais été traduit en italien ? Pourquoi ses romans, parés de toutes les séductions pour conquérir le lecteur italien n’ont-ils pas encore fait brèche dans le cœur d’un éditeur ? Son cas est complexe, car à toutes les difficultés dont sont hérissées les frontières de la traduction il faut ajouter ses prouesses diégétiques saupoudrées de son rayonnant génie verbal. L’exemple choisi est La Fin tragique de Philomène Tralala, un roman qui, d’un côté, offre à l’auteur l’opportunité d’épingler les mesquineries qui sévissent dans le milieu éditorial et, de l’autre, offre au traducteur potentiel toute une série de situations intraduisibles, de décalages linguistiques, de dérives de sens, tous liés au contexte autant qu’à l’intertexte et au métatexte. La traduction se révèle alors comme un espace neutre où l’incommensurabilité entre mondes, humanités et cultures trouve un accord, alors qu’en même temps il faut aller au-delà des mots, savoir compenser, diluer, laisser des interstices pour que le lecteur puisse y retrouver l’étrangeté qui fait la beauté du texte et l’identité de l’auteur.
« De l’énonciation culturelle chez Panaït Istrati et Patrick Chamoiseau : traduction ou trahison ? », Mariana IONESCU, Huron University College
À première vue, les Récits d’Adrien Zograffi de Panaït Istrati, publiés à Paris dans les années 20, n’ont rien en commun avec Solibo Magnifique du Martiniquais Patrick Chamoiseau, paru en 1988. Cependant, une même tension les sous-tend, tension originée dans l’acte d’énonciation mettant en présence deux langues : d’un côté le roumain et, respectivement le créole, porteurs de richesses culturelles hybrides, d’un autre côté le français, langue d’écriture de ces deux auteurs. Prenant comme point de départ les idées avancées par Homi Bhabha au sujet de la difficulté de représenter une tradition culturelle dans une autre langue, nous aborderons la question de la traductibilité d’un « dit » profondément ancrée dans une langue et dans un système de référence stable. La mise en écrit des paroles d’un conteur est-elle donc un acte de traduction ou une trahison de la diction originelle ? Dans les deux cas, l’acte de l’énonciation culturelle informe l’écrit, en créant un tiers espace à partir duquel se façonne le pacte ambivalent de l’interprétation culturelle. Le sujet de l’énonciation, façonné par une communauté culturelle spécifique, entre en dialogue avec le « marqueur de paroles » martiniquais Chamoiseau, ou avec le jeune Adrien, porte-parole d’Istrati. C’est à travers ce dialogue que se tisse un espace de création linguistique hybride, lieu d’aliénation de la parole, lieu de scission du sujet énonciateur, mais aussi lieu d’enrichissement de l’écrit au contact avec une tradition culturelle devenue forcément « littérature ».
Session III. Petites filles et jeunes filles dans le roman pour la jeunesse des années 2000 <
Présidente : Claire LE BRUN
Secrétaire : Noëlle SORIN
« L’histoire au féminin », Danielle THALER, Université de Victoria
La fiction historique a depuis longtemps ouvert aux jeunes adolescents la scène de l’Histoire. Nous nous proposons de cerner l’évolution de la fiction historique pour jeunes de manière à souligner l’émergence des personnages féminins dans cette fiction, d’en dégager les principaux modèles à travers un corpus donné. L’évolution de la condition féminine ne peut pas ne pas avoir laissé de traces car si les protagonistes doivent plonger dans le passé ils ne peuvent pour rejoindre leur lectorat oublier le présent ni faire abstraction de l’évolution des mœurs. Il est donc aujourd’hui impensable d’exclure les filles de l’Histoire ou de les cantonner dans les rôles secondaires. On verra qu’à la suite des deux personnages de Bruno dans Le tour de France par deux enfants, le couple frère-sœur par exemple se retrouve jusqu’à nos jours dans la fiction historique. Mais les rôles ont-ils vraiment changé, et dans quelle mesure les modèles ont-ils évolué depuis celui de la jeune fille qui attend sagement le retour du jeune aventurier ou celui de la jeune fille qui doit se déguiser en garçon pour plonger dans l’Histoire ?
« Voyage, errance, migration : les parcours de sens de l’héroïne », Noëlle SORIN, Université du Québec à Trois Rivières
En ces temps de diversité culturelle et de pluriethnicité, la question identitaire s’avère cruciale. On sait par ailleurs que les pratiques de l’espace et l’expérience de la mobilité participent de la construction identitaire. Souvent on pense les déplacements en se limitant à la migration alors qu’ils embrassent aussi des pratiques spatiales et sociales plus larges telles que le voyage et l’errance. Ces mouvements relèvent plus de parcours que de simples allers-retours. Le parcours sera compris ici « non seulement comme trajectoire dans l’espace, mais également dans le vécu collectif et/ou individuel » (Boyer et Schaeffer, Migrations internationales, espaces et sociétés, 2004). Dans notre communication nous chercherons à identifier ces parcours dans la production québécoise pour la jeunesse francophone de ces dernières années (première lecture), impliquant des fillettes comme personnages principaux. Nous tenterons de répondre à la question suivante : comment l’héroïne voyageuse, errante ou migrante développe-t-elle « des pratiques spatiales, sociales et des stratégies identitaires dans et par le mouvement » (Boyer et Schaeffer) ?
« La petite fille dans la forêt des romans jeunesse québécois (6-9 ans) », Monique NOËL-GAUDREAULT, Université de Montréal
Notre présentation portera sur l’analyse d’une soixantaine de romans jeunesse québécois. Ce corpus couvre les quinze dernières années et comporte des ouvrages de différentes maisons d’éditions québécoises francophones. Nous avons élaboré une fiche d’analyse pour répondre aux questions suivantes : 1) Qui est la petite fille (son nom, son physique, son caractère, ses valeurs, etc.) ? À quelle époque vit-elle ? Où vit-elle ? Avec qui ? Quelles relations entretient-elle avec son milieu ? De quoi son quotidien est-il fait ? ; et 2) Est-elle la narratrice de l’histoire racontée ? À quel problème est-elle principalement confrontée ?
« Grandir au féminin : la narratrice du mini-roman », Claire LE BRUN, Université Concordia
Le mini-roman semble être devenu une des formes narratives privilégiées dans la culture contemporaine, dans l’édition traditionnelle et dans les médias électroniques. Dès la fin des années 1980, la littérature pour la jeunesse a adopté cette forme en lui assignant le rôle de roman de première lecture. Au Québec, qui constitue le principal champ d’investigation pour cette analyse, une nouvelle catégorie éditoriale destinée aux lecteurs de 6 à 8 ans a connu une croissance exponentielle au tournant des années 2000. Dans ces mini-romans d’une cinquantaine de pages abondamment illustrées, le récit est généralement pris en charge par un enfant. Nous constatons que le narrateur est souvent un garçon jouant le rôle de l’enfant-générique. Il semble être choisi de préférence à la fille pour illustrer les étapes importantes et les interrogations existentielles : amour, amitié, mort, solitude, etc. Ce narrateur introspectif adopte volontiers la posture du philosophe. Nous nous proposons d’analyser la représentation de l’enfance au féminin dans le mini-roman des années 2000 en nous penchant sur les narratrices : quelle est la portée de leur regard ? par quelles médiations ont-elles accès au monde des adultes ? En quoi leur expérience diffère-t-elle de celle des narrateurs ? L’étude portera sur deux collections éditées au Québec : « Ma petite vache a mal aux pattes » (Soulières éditeur) et « Roman rouge » (Dominique et Compagnie). Une sélection de titres de la collection française « Mouche de poche » (École des loisirs) sera utilisée à titre de comparaison.
Session IV. La littérature antillaise en question
Président : Mark ANDREWS
Secrétaire : Monique BLERALD
« Le Surréalisme aux Antilles : Revue de la littérature et enjeux actuels », Benoît TRUDEL, Université Western Ontario et Université Sorbonne Nouvelle Paris III
On s’imaginera peut-être que dans le cas des Antilles, l’influence surréaliste s’est limitée au développement des idéologies de la Négritude et de l’Indigénisme. Pourtant, la Créolité, qui depuis les années 1980 s’annonce comme un substitut à la Négritude, semble avoir hérité de plusieurs de ses traits : cette nouvelle idéologie émet un discours identitaire où le collectif Antillais se voit attribué un trait commun (la créolité) d’où pourra naître – ou se réaffirmer – un désir d’indépendance politique. Quant au versant artistique, la Créolité prend elle aussi des allures démonstratives ; dans les deux cas, un mode d’écriture « merveilleux » est donné comme étant plus authentique face à l’identité posée de l’avant. Je propose donc de mettre en évidence le poids de l’influence surréaliste – qu’elle soit continue ou renouvelée – dans le discours identitaire actuel aux Antilles. Cette problématique appelle d’abord, je crois, à dresser une revue de la littérature sur les ouvrages clefs qui ont traité ce sujet : Les écrivains noirs et le Surréalisme (1982) de Jean-Claude Michel, par exemple, et l’impressionnante anthologie réunie par Michael Richardson, Refusal of the Shadow : Surrealism and the Caribbean (1996). Puisque ces travaux se concentrent en général sur les liens entre les surréalistes et les poètes de la Négritude, il s’agira, par la suite, de satisfaire cette lacune en examinant les textes fondateurs de la Créolité, en particulier Éloge de la Créolité.
« Jeux littéraires et jeux carnavalesques de Guyane », Monique BLERALD, Université des Antilles-Guyane
La bonne humeur, la musique et la danse sont autant de manifestations de la mentalité et de la culture créoles guyanaises. Rien d’étonnant que la fête et les réjouissances populaires soient comptées parmi les thèmes littéraires privilégiés. Cependant, la société créole guyanaise, lieu par l’histoire de multiples interpénétrations culturelles, s’est nourrie, s’est enrichie, mais s’est parfois aussi affaiblie et fragilisée. La multiplicité des contacts a souvent modifié les données et valeurs culturelles transmises entre Créoles guyanais. Ainsi, le carnaval, « sommet et foyer des réjouissances » au centre de la vie des Guyanais de l’épiphanie au mercredi des cendres (deux mois), permet une lecture de cette complexité de l’identité créole guyanaise. Aussi, à travers notre communication, nous montrerons comment l’étude des textes traitant du carnaval, hormis leur dimension esthétique, offre un champ privilégié d’exploration de l’imaginaire guyanais et aide à saisir la relation à l’autre qui s’entretient à l’intérieur de cette manifestation culturelle.
« Voyage au bout du monde et de soi : Ton beau capitaine, de Simone Schwarz-Bart », Marina CALAS, University of Minnesota
À l’aube d’une ère de post-nationalisme, où il y a un abîme entre le statut avancé d’un phénomène de globalisation économique et les mesures sociopolitiques censées accompagner ce phénomène, le statut même d’être humain conféré par l’identité nationale semble ici être remis en cause. Le héros de cette pièce, Wilnor, est un des représentants de la diaspora caribéenne. C’est un ressortissant haïtien parti travailler en Guadeloupe et qui a laissé son épouse, Marie-Ange, au pays. En perdant son statut de citoyen du pays où il vit, Wilnor a t-il perdu son statut même d’être humain ? Peut-il être vu comme le « migrant-nu », victime d’un néo-esclavagisme ? Wilnor oscille également entre plusieurs sphères : d’abord à l’intérieur et à l’extérieur du monde moderne occidental, mais aussi entre rêve et réalité. Wilnor se tourne vers un monde onirique, à travers l’écoute répétée des cassettes que lui envoie sporadiquement Marie-Ange. Il échappe ainsi pour quelques instants à la réalité de la solitude de son exil. Le rêve est un concept double : il est important culturellement et est livré à toutes sortes d’interprétations mais il a aussi précipité l’exil de Wilnor. Comment Wilnor peut-il (re)construire son identité dans de telles conditions ? L’exil n’est-il pour lui qu’une perte de soi, ou lui permet-il une prise de conscience autrement impossible ?
« Le cri du cœur : les désordres du langage dans Un Ambassadeur macoute à Montréal de Gérard Étienne », Mark ANDREWS, Vassar College
Ouvrage qualifié de « politique-fiction », de « poème en prose allégorique », voire de « science-fiction », Un Ambassadeur macoute à Montréal relève le défi lancé par son prédécesseur, Le Nègre crucifié, celui de forger un nouveau langage romanesque, grâce surtout à l’éclatement syntaxique de la phrase. L’expérience n’a guère réussi, selon l’auteur lui-même, parce qu’il avait cherché en même temps à créer un récit plus classique sur le plan de la présentation des personnages et du flux événementiel. La conclusion peut-être hâtive de Gérard Étienne qu’il se serait « cassé les dents » dans ce roman, n’est point partagée par ses lecteurs. Ceux-ci louent un processus de métaphorisation de la vie et de la ville de Montréal qui, de manière assez paradoxale, fait apparaître le réel au sein même d’un décor fantastique et mythomane. Je me propose dans cette communication d’approfondir le rapport entre la fracturation délirante du langage d’une part, et la structuration symétrique et limpide de la narration de l’autre, afin de tracer les contours de la représentation révolutionnaire chez Gérard Étienne. La révolution, selon le protagoniste Alexis Accius, n’est autre que le souffle des hommes, le battement des tempes, le cri du cœur. Dans un contexte aussi grotesque qu’irréel, l’itinéraire du protagoniste et celui de son antagoniste, l’ambassadeur macoute, se révèlent spéculaires, leur convergence inéluctable, et le combat héroïque. Si l’espoir triomphe de manière classique sur la terreur de l’oppression et si le lyrisme libérateur rétablit l’ordre en succédant à la violence monstrueuse, Étienne nous rappelle en même temps que le souffle révolutionnaire naît dans la clameur, et que sa parole se veut avant tout une agression, un questionnement, une dissidence, bref, une cacophonie créatrice. La tension qui existe tout au long du roman entre les désordres vertigineux du langage et la discipline cartésienne de la narration a pour effet déroutant de suspendre le lecteur entre deux perspectives esthétiques opposées, deux mondes adverses, et deux imaginaires contraires de l’existence montréalaise.
Mardi 27 juin, 10h45-12h15
Session I. Passions maghrébines et leurs inscriptions (inter)culturelles I
Président : Antoine SASSINE
Secrétaire : Charles BONN
« Défaillance du père et paternités littéraire : Kateb ou l’ombre du père et Begag ou sa disparition », Charles BONN, Université Lyon II
Je propose d’explorer ici quelques possibilités du concept de tragique, dans sa dimension sacrificielle, pour rendre compte de l’émergence littéraire du roman maghrébin dans l’entre-deux langues. Cependant le tragique dont il s’agira ici ne sera pas celui de Phèdre, d’un personnage littéraire, mais celui d’une écriture, dans la phase difficile de son émergence. Pour l’écriture maghrébine francophone, cette émergence se fait dans un entre-deux langues qui suppose, tout comme la tragédie naissant selon Vernant (Mythe et tragédie en Grèce ancienne, Paris, Maspéro, 1972) de la rencontre historicisée entre deux systèmes de valeurs contradictoires, des choix parfois douloureux, dont la théâtralisation sacrificielle va être la dynamique majeure, et trop souvent méconnue jusqu’ici.
« Les narratrices folles dans Ravisseur de Leïla Marouane et Hikayat Zahra de Hanan al-Shaykh », Richard SERRANO, Rutgers University
Dans cette communication j’examine le discours de deux narratrices folles dans la littérature arabe contemporaine (francophone et arabophone). Bien que Ravisseur de l’Algérienne Leïla Marouane soit en français et Hikayat Zahra de la Libanaise Hanan al-Shaykh en arabe, les narratrices sont toutes les deux folles. Ces romans critiquent l’état de la femme dans les familles et cultures arabe, employant narratrices affolées (au moins) par la violence atroce dans leurs pays. Ni la narratrice de Shaykh ni celle de Marouane ne savent mener la vie d’une femme typique, une situation qui incite leur folie. La question capitale de cette communication est donc : pourquoi deux écrivaines, une Libanaise arabophone des années 80 et une Algérienne francophone des années 90, insistent-elles sur l’utilisation d’une folle comme véhicule d’une critique féroce de la société violente qui les entoure ? La narratrice folle est-elle nécessaire au féminisme arabe ? Pour essayer de répondre à cette question, je vais considérer le fou/la folle (majnun/majnuna) dans les cultures arabes comme figures littéraires. Je vais considérer également le contexte littéraire de chaque roman, surtout l’exemple du roman La Répudiation de Rachid Boudjedra dans le cas de Marouane, et un group d’écrivaines « Beirut Decentrists » dans le cas de Shaykh.
« La symbolique de la “traversée” identitaire chez Amin Maalouf », Antoine SASSINE, Mount Royal College
La symbolique de l’identité comme une « traversée » spatiale et temporelle dans l’œuvre d’Amin Maalouf est constamment contrastée avec la notion d’une identité figée qui refuse l’interaction ou le dialogue avec l’Autre et qui, selon l’auteur, risque de se développer en une « identité meurtrière ». C’est pourquoi l’auteur revendique le droit de l’être à se déraciner et emporter ses « origines » et la nécessité de se déplacer dans l’espace afin de permettre à son identité de s’épanouir pleinement. D’où la valeur symbolique d’un nomadisme perpétuel qui enrichit et approfondit les constituantes de l’identité. Dans cette communication, on tentera de démontrer comment, chez Maalouf, la thématique de la « traversée » dans Léon l’Africain et Les Échelles du Levant puise toute son importance dans une quête assoiffée et créatrice qui tend à élargir constamment les horizons identitaires de l’être et s’enracine dans un processus conscient qui révèle la dimension initiatique de cette quête enrichissante. On découvrira aussi la dimension interculturelle des langues comme moyens de communication, de rapprochement et d’ouverture à l’Autre.
Session II. Identités antillaises
Président : Thierry LÉGER
Secrétaire : Nadia HARRIS
« Être et non-être dans la littérature caribéenne », Jean-Georges CHALI, Université des Antilles et de la Guyane
La question souvent engendrée à travers les personnages de la littérature caribéenne est bien celle de l’existence humaine et sa finitude. Étant une représentation de cet animal social qu’est l’homme, le personnage romanesque ou théâtral porte en lui les traits qui en font un archétype, une projection d’un nous et de la pensée collective. Sa condition est bien celle d’un être qui vit en perspective et qui se tient au centre d’une tragédie existentielle. Tout comme le modèle dont il est la représentation, il est dans la diégèse, cet être vivant à qui le narrateur donne assez de conscience pour éprouver, désirer, et vouloir saisir la vie et le monde. Or, rendu vivant, ce personnage de papier ne sait pas ce qu’est la vie ; on lui attribue des pensées, on le fait se mouvoir dans un monde dont il ne connaît ni l’origine ni la fin ; il naît et meurt sans que cela relève de sa volonté. Narrateur et lecteur participent de cette construction progressive et permanente de l’Être à travers une prise de conscience à partir du rien. Nietzsche ne prétendait-il pas alors que « l’homme est un pont et non un but, une corde lancée sur l’abîme » ? Partant de là, Édouard Glissant nous conduit à réfléchir sur la question d’absolu et d’être, celui-ci ne pouvant se concevoir que comme absolu dans la culture occidentale. Il oppose à cela une vision caribéenne, en faisant appel à l’idée de relation que l’on trouve déjà dans la pensée pré-socratique. L’écrivain martiniquais répond déjà à la question de l’identité et de la projection d’un nous en ayant une vision fondamentale de la notion d’être et d’absolu. Pour lui, la notion de l’être est forcément liée à la notion de l’identité « racine unique » et d’exclusive identité. Et partant de là, il insiste sur la question de la relation qu’entretiennent les êtres.
« En attendant le bonheur : l’ironie et le déracinement dans l’œuvre de Maryse Condé », Laurie CORBIN, Indiana University-Purdue University Fort Wayne
Dans En attendant le bonheur (Hérémakhonon) de Maryse Condé, on peut voir la recherche de ses racines par le personnage principal Véronica comme une tentative inutile d’effacer l’héritage qu’elle déteste (ses parents de Guadeloupe) pour s’approprier un héritage préférable à ses yeux (des ancêtres africains), inutile parce qu’elle ne connaît pas et ne veut pas connaître l’Afrique. Ma communication démontrera comment les deux niveaux d’ironie – l’ironie du personnage principal et l’ironie de l’écrivain – résistent à toute possibilité de retrouver ou établir des racines. Dans le cas de Véronica, sa vue ironique d’elle-même et des autres ne lui permet pas de s’engager avec les autres ; émotionnellement elle se tient presque toujours distante et semble même préférer la compagnie de l’homme le plus insincère qu’elle rencontre – son amant dont le travail est de réprimer ses collègues et étudiants au lycée où elle enseigne. Pourtant ce refus de l’engagement au moyen de l’ironie si évident chez Véronica ne doit pas être vu comme identique aux intentions de la créatrice de Véronica, Maryse Condé. Or, l’emploi de l’ironie par Condé dans ce texte démontre non pas un refus de l’engagement mais plutôt un refus d’une fausse sécurité qui peut être le résultat de cette insistance sur les racines. En discutant ces deux niveaux d’ironie je discuterai le problème que peut poser la nostalgie pour les écrivains de la Diaspora et comment l’ironie sur ce sujet est souvent mal comprise.
« Territoires de l’identité dans La Traversée de la mangrove », Nadia HARRIS, American University
Patrick Chamoiseau a souligné l’importance de la veillée mortuaire dans la littérature antillaise en général et dans l’œuvre de Maryse Condé en particulier. Ce rituel représenté dans plusieurs ouvrages de l’écrivaine guadeloupéenne occupe une place centrale dans La Traversée de la Mangrove. Il s’agit en effet d’un roman dialogique constitué d’une suite de récits partagés au cours de la veillée par divers membres de la communauté de Rivière au sel dans laquelle a vécu le défunt Francis Sanchez après son retour de l’étranger. En m’inspirant des travaux de l’équipe de recherche « Le soi et l’autre » dirigée par Pierre Ouellet de l’Université Laval, je me propose d’analyser le contexte socio-historique guadeloupéen dans lequel se déroule le roman pour montrer les liens entre interculturalité et exil. Je montrerai d’une part que l’énonciation posthume de l’identité du protagoniste du roman suit le cours d’une histoire migratoire aux étapes nombreuses, et, de l’autre, que la construction identitaire s’assimile à une réflexion sur l’écriture comme « territoire identitaire ». Le lien entre livre et énonciation identitaire est suggéré par le titre du roman qui coïncide avec celui du livre que Sanchez avait fait le projet d’écrire sans cependant parvenir à le faire.
« Identité et Histoire dans Les Derniers Rois Mages de Maryse Condé », Thierry LÉGER, Kennesaw State University
Les protagonistes des Derniers Rois Mages tentent de se créer une identité basée sur le passé et l’Histoire plutôt que de se tourner vers le futur, tombant ainsi dans le piège qu’ont dénoncé les auteurs d’Éloge de la créolité dans leur célèbre déclaration : « Ni Européens, ni Africains, ni Asiatiques, nous nous proclamons créoles ». Ma communication va examiner la façon dont Maryse Condé, notamment à travers les personnages de Debbie et de Spéro, explore la difficile construction d’une identité propre chez les membres de la diaspora noire du fait de leur idéalisation de l’Afrique ancienne et contemporaine ; idéalisation qui constitue un obstacle à l’affirmation de leur personnalité et à leur intégration dans la communauté.
Session III. Anna de Noailles et ses « autres »
Présidente : Catherine PERRY
Secrétaire : Claude MIGNOT-OGLIASTRI
« Le familier infini : Figures du dialogue épistolaire Anna de Noailles-Maurice Barrès », Sanda GOLOPENTIA, Brown University
Cette communication examinera quelques éléments caractéristiques de la correspondance entre Anna de Noailles et Maurice Barrès : ses continuités et ses ruptures, ses rythmes, son caractère direct ou indirect, ses silences, ses complicités et son approfondissement, ses relations de complémentarité, voire de relève avec le vécu et la création littéraire des deux écrivains.
« Une médaille, deux facettes : Marthe Bibesco et Anna de Noailles », Radu ALBU-COMANESCU, Université de Cluj
« Antoine Bibesco, un dandy roumain de la Belle Époque », Roxana VERONA, Dartmouth College
Cousin d’Anna de Noailles, diplomate, dramaturge, ami de Proust, amateur d’art et collectionneur, Antoine Bibesco (1878-1951) se trouve parfaitement intégré dans le paysage culturel parisien de la Belle Époque, dans la lignée de ces Roumains francophiles et francophones qui ont effectué une véritable navette spirituelle entre Paris et Bucarest. Il y a là un portrait complexe qui se perd pourtant entre les deux cultures : du côté français il est associé trop étroitement au monde proustien, tandis que du côté roumain, il disparaît à la fin de la deuxième guerre mondiale quand le rideau de fer coupe tout contact entre Paris et Bucarest. Cette communication récrit le portrait d’Antoine Bibesco dans une perspective plurielle : en tant que personnage d’une histoire de princes de la famille des Bibesco-Brancovan, complice de jeux mondains et d’écriture avec sa cousine Anna de Noailles, et aussi avec Proust, pour lequel il est l’un des destinataires préférés de ses lettres. L’analyse est sous-tendue par une suite de questions autour de l’appartenance culturelle double, française et roumaine, d’Antoine Bibesco : Qu’est-ce écrire quand on appartient au jet-set aristocratique européen ? Comment passe-t-on d’une langue à l’autre, et d’une culture à l’autre ? Peut-on parler d’autonomie esthétique quand on côtoie de si près le phénomène Proust ? Quelle est sa place dans l’histoire culturelle européenne moderne ?
Session IV. Guerre et littérature II
Présidente : Claire KEITH
Secrétaire : Mark BENSON
« Trois romans de guerre canadiens-français », Mark BENSON, Collège militaire royal du Canada
Cette communication vise à déterminer dans quelle mesure une toile de fond conflictuelle permet de déceler les premiers indices et l’élaboration subséquente d’une identité nationale distinctive dans trois romans de guerre québécois : Neuf jours de haine de Jean-Jules Richard, Les Canadiens errants de Jean Vaillancourt et Deux portes…une adresse de Bertrand Vac. Mon analyse portera dans un premier temps sur la façon dont le conflit est présenté : conflit sociétal, conflit haine-amour, conflits familiaux, conflit entre vie militaire et vie civile, conflit entre individualisme et collectivité, etc., et dans un deuxième temps sur la guerre comme outil qui permet d’exprimer, paradoxalement, une célébration de la vie à travers les petits détails et événements qui définissent notre humanité, ces « moments sans gloire particulière ».
« L’horreur de la guerre, l’extase de la guerre : la poésie française des soldats-poètes, 1914-1918 », Gary D. MOLE, Bar-Ilan University
Les œuvres narratives des écrivains-combattants français de la Grande Guerre sont depuis longtemps reconnues comme des témoignages essentiels de l’horreur des tranchées. Moins connu cependant est le corpus de poésie des soldats-poètes. Si quelques poèmes de guerre d’Apollinaire ou d’Aragon sont encore étudiés, ceux d’autres combattants moins illustres sont généralement passés dans l’amnésie collective. Si tout écolier britannique connaît la poésie de Wilfred Owen, Siegfried Sassoon ou Isaac Rosenberg, qui, en France, a étudié les poèmes de guerre d’Edmond Adam, Noël Garnier, Albert-Paul Granier, Marc de Larreguy de Civrieux, André Martel, François Porché ou Marcel Sauvage ? Cette communication se penchera dans une perspective comparatiste sur une sélection de cinq ou six soldats-poètes, prenant comme objet d’analyse un seul aspect de cette poésie, à savoir la tentative de restituer l’expérience de la guerre dans un langage poétique, voire, avec tous les paradoxes que cela comporte, esthétique.
« Une escarmouche au Tibet : déboires culturels de Joseph-Fernand Grenard », Claire KEITH, Marist College
Diplômé de sciences politiques et des langues orientales, J.F. Grenard rejoignit en 1891 une mission du Ministère de l’Instruction Publique chargée d’une exploration en Asie centrale. Au bout d’un périple de 11000 kilomètres marqué d’innombrables difficultés et de violentes rencontres, le survivant Grenard hérita de la responsabilité de mettre en forme l’information recueillie, le chef de l’expédition, Dutreuil de Rhins, ayant trouvé la mort à Lhassa. Le besoin de ne rien omettre de l’observation ethnographique, linguistique et géographique enrichit ainsi singulièrement le récit de la violente rencontre où fut tué Dutreuil. Nous étudierons comment l’auteur nous restitue en touches vives et étonnantes le mélange de choc, d’urgence, mais aussi d’intense curiosité qui fait de ce récit un témoignage de guerre, une étude ethnographique, et un irrésistible chapitre de littérature de voyage.
Mardi 27 juin, 14h15-15h45
Session I. Littérature féminines : Québec et Antilles
Présidente : Gaël BELLALOU
Secrétaire : Ellen MUNLEY
« Voix de femmes et figures du mâl(e) en littérature francophone : Nicole Brossard et Maryse Condé », Ramon Abelin FONKOUE, University of Oregon
Que l’on considère l’Amérique du Nord, l’Afrique ou encore les Caraïbes, les voix de femmes en littérature francophone portent de plus en plus, et ont rafraichi de façon radicale le regard que nous portons désormais sur ces littératures. Entre autres voix prépondérantes, Nicole Brossard et Maryse Condé se distinguent par leur plume prolifique, dont la moindre qualité n’est pas de mener de front création et réflexions esthétiques. En outre, à la lecture de leurs écrits, l’une de leurs préoccupations constantes semble être la figure du mâle. De fait, sous ces plumes de femmes, le lecteur relève souvent entre le mâle et le mal une homonymie qui est souvent synonymie, invitant à la réflexion. À quoi tient chez ces auteurs la « déchéance » du mâle, et en quoi leurs approches divergent-elles dans leur peinture de figures masculines ? Aussi, quelle est chez chacune la part de l’écriture féminine dans cette perception de l’homme, et celle de la posture féministe ? Dans La Lettre aérienne, Le Désert mauve et Elle serait la première lettre de mon prochain roman, l’offensive de Brossard, parfois frontale, débouche souvent sur un style iconoclaste. Pourquoi Condé, en écrivant par exemple Pays mêlé, Traversée de la mangrove ou Célanire cou-coupé, ne va-t-elle pas jusqu’au soupçon du récit et à la dissolution des genres ? Telle sont les questions auxquelles nous voudrions trouver une réponse au terme de notre réflexion.
« Les deux actrices : le rôle du théâtre dans la renaissance symbolique du personnage féminin dans Immobile de Ying Chen et Le Premier jardin d’Anne Hébert », Taryn MCQUAIN, Université de Louisiane à Lafayette
Anne Hébert souligne la fonction du théâtre dans son roman, Le Premier jardin, par son choix de l’épigraphe de Shakespeare : « All the world’s a stage ». Le Premier jardin et Immobile de Ying Chen nous présentent deux femmes qui refusent leur naissance biologique par une renaissance symbolique sur scène. C’est à travers son rôle dans un autre monde au théâtre que le personnage féminin se fait sujet, qu’elle devient sa propre création. Cette volonté d’auto-procréation est une façon de rejeter la culture patriarcale dans laquelle elles se trouvent. La profession d’actrice s’offre comme voie de liberté et de renouvellement pour ces deux femmes et jouer devient un mode de vie qui leur permet de se redéfinir par les identités multiples.
« Enseigner la francophonie par l’intermédiaire des auteurs : l’exemple de Maryse Condé », Ellen MUNLEY, Regis College
Parmi les formules pour créer un cours sur la francophonie, celle qui relie la thématique du cours à l’œuvre d’un auteur comme Maryse Condé profite de la perspective personnelle d’un guide francophone littéraire. Au fur et à mesure que le semestre s’avance, les étudiants forment un rapport avec l’écrivaine dont la voix s’ajoute à celles du professeur et des individus dans la classe. À travers les romans, essais, et interviews, aussi bien que des enregistrements de conférences et de conversations avec Condé, l’enseignant peut organiser le cours d’une perspective purement littéraire ou élargir le champ d’étude pour comprendre les questions sociales, politiques et historiques qui figurent dans l’œuvre de Maryse Condé. Dans ce cas, les régions francophones étudiées et les questions abordées dans le cours détermineraient le choix des textes. Si le cours portait sur l’Afrique, par exemple, Heremakonon, Ségou, et d’autres textes où Condé y fait allusion en feraient partie. Puisque les voyages et l’errance dans l’espace et le temps informent l’œuvre de Maryse Condé, on a la possibilité de développer le cours d’après ses objectifs. Quelle que soit l’approche choisie, enseigner le cours à partir des textes d’un auteur crée l’impression de co-enseigner avec un témoin authentique de la francophonie.
« Rythme binaire et dualité dans Angéline de Montbrun de Laure Conan », Gaël Melle BELLALOU, Université Bar-Ilan
Angéline de Montbrun, œuvre de Laure Conan, peut-être considéré comme le premier roman féminin psychologique québécois, publié à la fin du XIXe siècle. Dans cette œuvre, Laure Conan décrit avec sobriété la douleur féminine qui n’est en fait qu’une répétition d’un drame personnel vécu réellement par l’auteure : une peine d’amour dont elle ne s’est jamais complètement guérie, et un attachement très grand à son père, figure dominante de sa vie. La structure et ses thèmes présentent un intérêt pour la recherche littéraire, dans la mesure où ils sont axés autour d’une dualité, constante tout au long du récit. Cette communication propose une analyse du rythme binaire et de cette dualité des thèmes. Nous étudierons d’abord la construction du récit qui se partage entre roman épistolaire et récit narratif, et qui oscille entre le roman psychologique et l’autobiographie. Nous nous pencherons ensuite sur la dualité des thèmes de l’œuvre, tels l’amour et le bonheur, le double drame d’Angéline, la laideur et le renoncement, entraînant l’isolement total de l’héroïne qui trouve refuge dans la religion et la piété. Nous verrons enfin comment l’héroïne passe d’un univers paradisiaque le plus enchanteur et prometteur d’un avenir coloré de bonheur, à la peine et la douleur de vivre dans un quotidien terne, gris et sans espoir.
Session II. La Francophonie littéraire aux Balkans II
Président : Georges FRÉRIS
Secrétaire : Elena-Brandusa STEICIUC
« L’épreuve de l’exil et la transgression des “frontières”. Le cas des écrivaines francophones grecques de l’après guerre », Vassiliki LALAGIANNI, Université de Thessalie
Abordée à travers l’expérience migratoire, la question de l’identité constitue souvent une problématique de base en raison de laquelle certains écrivains semblent s’orienter vers des choix thématiques précis. Le traitement de sentiments d’étrangeté semble associé à la présentation de quelques thèmes-clefs, tels que le départ, le retour, la mort. Question multidimensionnelle et dynamique à travers laquelle s’exprime par excellence l’identité, le problème de la langue prend aussi une place importante dans certains textes. Dans notre contribution nous allons examiner par quels moyens littéraires la crise identitaire animée par l’exil et la migration est présentée et traitée dans l’œuvre des femmes écrivains francophones de la Diaspora hellénique de l’après guerre (Lilika Nakos, Margarita Lyberaki, Mimika Kranaki, Blanche Molfessis, etc.), quel questionnement idéologique et ontologique elle éveille, et quelles sont les réponses proposées par ces écrivains qui ont eu leur propre part d’expérience d’exil et de migration. Déracinées – exilées, auto-exilées, migrantes, nomades –, des femmes cultivées qui ont choisi de s’exprimer en français, s’occupent très souvent de la situation problématique de transgression des frontières qu’elles soient géographiques, politiques, linguistiques ou psychologiques, et mettent en évidence le caractère transgressif de la vie dans la culture de l’Autre ; elles essaient, dans leurs écrits, d’explorer la zone de l’« entre-deux » (Lequin, 2001), en puisant à la fois dans leur propre culture et dans la culture de l’Autre pour mieux se comprendre et comprendre le monde.
« Littérature francophone ou littérature nationale francisée ? », Maria ORPHANIDOU-FRÉRIS, Université Aristote de Thessalonique
Partant du principe d’H. Meschonnic que tout écrivain « traduit » sa pensée et sa conscience en écrivant, il est clair que l’auteur francophone, dont le français n’est pas la langue maternelle, traduit non seulement sa pensée, mais aussi sa « tradition » nationale ou autre, il traduit son moi profond par le langage de l’autre. Or, parlant de la littérature francophone balkanique, s’agit-il vraiment d’une littérature française ou d’une littérature nationale « francisée » à cause de l’utilisation de la langue ? D’ailleurs quel est son public ? S’adresse-t-elle uniquement aux Français ou aux étrangers francophones ? Et ceux-ci sont-ils toujours aptes à comprendre tout le contexte exprimé en français ? Les auteurs francophones n’utilisent-ils pas assez souvent des descriptions pour « expliquer » certaines connotations « propres » à leur milieu socioculturel ? Leur but est-il toujours d’écrire en français ou bien de faire connaître à l’Autre, par l’intermédiaire de la langue, une autre civilisation et un autre monde ? Et cette écriture ne cache-t-elle pas souvent des « surprises » aussi bien syntaxiques que lexicales ? À toutes ces questions nous essaierons de répondre en utilisant des exemples précis, pris de divers aires francophones balkaniques, pour démontrer que dans beaucoup de cas la création littéraire francophone des Balkans est une littérature « nationale » francisée.
« Oana Orlea : l’exemple d’un entre-deux fertile », Elena-Brandusa STEICIUC, Université de Suceava
De son vrai nom Marioana Cantacuzino, descendante d’une famille princière, Oana Orlea compte parmi les auteurs roumains d’expression française les plus connus et reconnus : Un sosie en cavale (Seuil, 1986) ; Les Années volées. Dans le goulag roumain à seize ans (Seuil, 1991) ; Le Pourvoyeur (Ed. Oana Orlea, 2000). Elle s’est exilée en Occident en 1980, ne pouvant plus supporter les rigueurs du régime totalitaire, qu’elle dénonce dans son pays d’adoption. L’histoire littéraire devrait enregistrer aussi bien le versant roumain de son activité littéraire, des romans et des recueils de nouvelles (publiés entre 1968 et 1977) qui contiennent la thématique, parfois déguisée, de sa future œuvre en français. Nous tenterons d’aborder l’œuvre littéraire de Oana Orlea dans cette perspective, tout en soulignant l’enjeu, de même que les risques du passage d’une langue à une autre, la dimension esthétique mais aussi éthique de son écriture.
Session III. « On n’habite pas un pays, on habite une langue » (Émile Cioran)
Présidente : Anca MITROI
« Descente aux enfers de la mère et du père : l’Homme aux valises et Voyage chez les morts d’Eugène Ionesco », Ioana SION, University of Toronto
Un véritable voyage infernal entre le pays du père et celui de la mère se déroule dans les dernières œuvres d’Eugène Ionesco, tout particulièrement dans L’Homme aux valises et Voyage chez les morts, deux pièces que l’on peut qualifier d’autobiographiques et qui datent respectivement de 1975 et 1980. Les deux pièces mettent en espace un labyrinthe infernal où le personnage principal, Jean ou le Premier Homme – qui offre de nombreux traits communs avec le dramaturge en quête de son identité –, cherche son propre nom (son patronyme), sa langue (maternelle) et sa patrie (ou « matrie »). Ionesco abandonne l’écriture traditionnelle de la descente aux enfers pour retrouver un sens métaphysique plus profond de son voyage initiatique. À l’oubli de son nom s’ajoute l’oubli de la langue du pays natal. La quête du « qui suis-je » repose toujours sur un problème de noms et de mots, de sorte qu’il paraît impossible de séparer la métaphysique et la linguistique. Le dramaturge conserve les symboles universels de la barque, de la rame, des valises, des chutes, des schèmes ascensionnel/descensionnel, mais ces indices caractérisent un voyage intérieur dans la mémoire ou dans le rêve. C’est là que réside son originalité, dans une expérience mystique infernale ou paradisiaque. Sans doute n’y a-t-il pas de conclusion heureuse aux descentes aux enfers sans sacrifice. L’être est purifié, son identité effacée, et le langage « appauvri » y connaît son degré zéro d’expression. Le rêve va conduire finalement à la lucidité et à la vérité, à l’expérience lumineuse de l’extase.
« La parole fantasmée chez Eugène Ionesco », Maria CAPUSAN, Universitatea Babes-Bolyai
Situé d’emblée « entre la vie et le rêve », Eugène Ionesco découvre et met en œuvre dans Les Fantômes – texte en prose publié en 1836 en Roumanie – les vertus de la parole fantasmée. Ce que l’on nommera plus tard la crise de la communication se révèle être de la sorte une nouvelle liberté accordée au langage, grâce à une ivresse « métaphysique » vécue par celui qui écrit les pages d’un faux journal. Essentiellement théâtrale, puisque ludique et proférée à la fois, non seulement écrite, cette parole joue sur l’absence, la présence – simulacre et la métamorphose. De là jusqu’à la question finale des Voyages chez les morts, formulant le doute sur la capacité des choses de « dire » les mots, cette aventure traverse une suite d’épreuves pendant lesquels le personnage ionescien retrouve petit à petit les angoisses d’un moi initial. Parole – revenant en parole – chimère, ce verbe exige aussi une mise en espace et une mise en corps qui valorise sa référence insolite. Nous allons commenter aussi certaines réussites de cette nouvelle relation parole-corps-objet dans le domaine du spectacle. Le pays ionescien du langage qu’est-il donc sinon un pays de fantasmes...
« Langue, rituel et identité chez Eugène Ionesco », Scott SPRENGER, Brigham Young University
Tiraillé entre deux pays, deux cultures et même deux langues, l’écrivain franco-roumain Eugène Ionesco était bien placé pour comprendre de l’intérieur la condition mondialisée lorsque l’espace national devenait de moins en moins important comme pôle d’identification – à quoi s’opposaient, bien entendu, l’hypernationalisme du fascisme et l’internationalisme du communisme. Il est clair que Ionesco considérait l’internationalisme comme préférable au nationalisme, mais pas dans sa forme communiste. En tant qu’anthropologue de la modernité, Ionesco a observé que sous les identifications nationalistes et internationales existait une identification résiduelle, à savoir à la langue et aux rituels langagiers. Les pièces ionesciennes montrent que dans des moments de crises collectives les êtres humains inventent des rituels, sans doute pour remplacer les traditions perdues et pour ré-ancrer leur identité. Malgré tout, la violence finit toujours par dépasser les limites de ces nouveaux rituels et l’identité se disperse. Si, selon Éric Gans, la fonction rituelle du langage est de « différer » la violence mimétique qui est à l’origine de la culture, Ionesco nous montre les limites de ce processus en exposant la violence qui sous-tend le langage et ses rituels.
« Eugène Ionesco : Frontières géographiques, frontières linguistiques », Anca MITROI, Brigham Young University
Dans beaucoup de textes de Ionesco, plus l’action se passe dans un territoire précis, plus le langage semble être en proie à une crise, comme si les identités territoriales avaient la fonction de brouiller les frontières langagières. Les détails du décor, comme dans La Cantatrice chauve, censés cerner une zone culturellement spécifique (anglaise, dans ce cas) ne peuvent plus contenir ni l’explosion de mots de différentes origines, ni la contamination des langues. À travers cette tension entre l’espace géoculturel et l’espace linguistique, Ionesco indique le problème des divisions géographiques, politiques ou sociales qui sont imposées à la langue. Sa perspective remet en question l’adéquation de ces critères. C’est pourquoi elle relève moins d’un discours de la francophonie telle qu’on l’entendait il y a quelques décennies, que de l’idée – plus récente – de littérature migrante.
Session IV. Mythes et exotismes : réécritures contemporaines
Présidente : Chantal MAIGNAN-CLAVERIE
« Du mythe antique du labyrinthe au mythe moderne : L’Emploi du temps et Les Gommes », Zeynep MENNAN, University Hacettepe, et Emine BOGENÇ DEMIREL, Université d’Istanbul
Nous nous proposons d’étudier dans cette communication deux romans d’ordre policier qui se présentent comme l’exploration d’espaces énigmatiques, mystérieux et labyrinthiques : L’Emploi du Temps de Michel Butor et Les Gommes d’Alain Robbe-Grillet. Bien que l’action des deux romans se déroule dans des villes industrielles modernes, les références à l’Antiquité et aux mythes légendaires servent constamment de repères aux récits. Les deux romanciers modernes se prêtent admirablement à une re-narration ou réécriture des mythes, sans toutefois rester entièrement fidèles aux récits originaux. Peu importe, car ce qui est nécessaire pour un auteur moderne qui a recours au mythe originel ou son archétype, c’est la signification nouvelle qu’il veut lui accorder. Nous espérons révéler le rôle que jouent les mythes – avec toute la profonde et riche symbolique de leur nature dans un récit moderne – sur les personnages, hantés par les personnages mythiques s’identifiant à eux, et ensuite sur le caractère labyrinthique des textes qui paraissent comme l’aventure d’une écriture.
« Mythofiction et mythissage : réécriture et recréation des mythes dans l’espace francophone de l’Océan indien », Vijaya RAO, Jawaharlal Nehru University
La présente communication étudie le phénomène de la mythocréation, emblématique du métissage culturel dans l’aire francophone de l’Océan indien. Sont compris dans cet espace La Réunion, et Pondichéry, ancien comptoir de l’Inde. À l’instar des fugues, les mythes indiens colportés par les caprices de l’histoire se trouvent remaniés, revisités, recréés et fantasmés sous la plume des écrivains contemporains. Ces exercices de mythes font indéniablement appel aux espaces hybrides où la rencontre des cultures indienne et française est l’occasion de conflits, de contrastes et d’une coexistence étonnante. Ces terres sont en fait propices à de telles créations, où le narrateur/conteur fait systématiquement une projection antérieure (à l’encontre de la science fiction qui fait une projection dans le futur), imagine une rencontre qui n’a jamais eu lieu entre les divers personnages du mythe/des mythes originel(s), tissant ainsi deux impossibilités. À titre rétrospectif, il manipule les actants du mythe comme des marionnettes, afin de s’investir du pouvoir de diriger une autre destinée. Imprégné d’une hybridité imminente, l’écrivain francophone de l’Océan indien comble le mythe fondateur de sa biographie collective, de son double (ou multiple) héritage et de son don de pouvoir marier les opposés. Les écrivains qui feront objet de cette étude sont le poète Carpanin Marimoutou (Narlgon la lang) de La Réunion et K. Madavane (Le Mahabharata des femmes, et Le Véritier), écrivain originaire de Pondichéry.
« Des épopées mythiques au réécritures de l’exotisme », Chantal MAIGNAN-CLAVERIE, Université des Antilles-Guyane
La littérature des Antilles françaises s’est constituée autour d’une mythologie fondatrice commune aux deux grands poètes, Saint John Perse et Césaire, représentatifs de l’antagonisme de races qui constitue le socle historique des îles : la pureté de race comme fondement structurel d’une identité créole. Dans cette perspective, l’exotisme est répudié au profit d’une esthétique sublimatoire qui répare la déchirure ontologique à la fois du Blanc, subissant une irréversible métamorphose de son être, au passage de la ligne imaginaire de l’Atlantique ; et du Nègre, arraché de sa terre natale et cessant à jamais d’être un Africain. Ce mythe de la pureté exclut donc la réalité sociologique essentiellement articulée sur le métissage, relégué au second rang, dans les coulisses ou dans la médiocrité de la production littéraire. Cependant, aucune identité ne peut se construire dans l’ignorance du rapport à la langue, aucune mythologie ne peut résister à l’affirmation puissante de la volonté des peuples insulaires se vivant absolument métis. La langue créole qui réunit toutes les composantes des populations post-coloniales exprime cette pluralité où se sont allègrement mêlées, dans la caldeira de l’Habitation-plantation, les cultures amérindienne, africaine et française. Dès lors, c’est par son intercession que se dira l’identité de l’Antillais : la diglossie, élevée à une poétique inaugurée par Patrick Chamoiseau, est reconnue comme l’expression naturelle du métis, qui peut être désormais un héros littéraire déchargé du poids exotique jusque-là intériorisé de manière douloureuse. Mis en scène par Raphaël Confiant, le mulâtre traverse les mythologies et les exotismes réducteurs pour les transcender et s’ancrer comme sujet de son histoire. Désormais il présente un exotisme devenu divers et diversifié dans une relation à l’Autre, telle que l’a théorisée Édouard Glissant. La poétique de la Relation et du Tout-monde est l’espérance du divers intégrant tous les mythes et tous les exotismes pour un rapport fécond entre les pluralités culturelles des communautés humaines.