19ème Congrès à Ottawa-Gatineau
27 Juin - 3 Juillet 2005
Résumés des communications
Vendredi 1er juillet 2005
Vendredi 1er juillet 09h00 – 10h30
Session I. « Familles, je vous hais ! » Situations familiales extrêmes dans la littérature francophone
Président : David DÉCARIE, Université de Moncton
Secrétaire : Christine DUFF, Carleton University
« Le rejet de la maternité dans L’ingratitude de Ying Chen et La maison du remous de Nicole Houde », Taryn MCQUAIN, Université de Louisiane à Lafayette
Le personnage féminin dans les textes de femmes québécoises contemporaines doit souvent résoudre un conflit interne en relation avec la maternité. Cette étude va explorer comment L’ingratitude de Ying Chen (1995) et La maison du remous de Nicole Houde (1986) traitent la figure de la mère et le refus de l’existence de leur fille comme individu. Ce poids énorme, c'est-à-dire la mère, pèse sur les deux personnages principaux et devient une source de conflit qui se manifeste à travers la maladie physique et psychologique. Je montrerai comment ces deux personnages sont littéralement « empoisonnés » par la présence de leurs mères et l’expriment à travers le « vomissement » de tout ce qui est pourri dans la relation mère-fille.
« Valentine : les relations mère-fille dans le cycle du Survenant de Germaine Guèvremont », David DÉCARIE, Université de Moncton
Selon L. Saint-Martin (Le nom de la mère), les rapports mère-fille seraient à la base de l’écriture au féminin. Il semblerait, à première vue, que l’œuvre de la romancière Germaine Guèvremont, les thèmes de la mère, de la maternité et des relations mère-fille étant peu présents, contredise cette thèse : la mère Beauchemin, personnage effacé dans En pleine terre, est ainsi déjà morte au début du Survenant ; de même la maternité d’Alphonsine est des plus problématiques, non seulement cache-t-elle sa grossesse à son entourage mais, frappée de folie, elle n’élèvera jamais sa fille. Guèvremont, on le voit, évite les thèmes liés à la maternité et un épisode d’En pleine terre (« Un petit Noël ») autoriserait même à parler de refoulement. Loin d’être le produit de l’indifférence ou du détachement, ce refoulement marque la prégnance de la figure de la mère sur l’imaginaire de la romancière. L’étude des écrits autobiographiques, dans lesquels l’auteure a décrit sa relation passionnée avec sa mère, mais également des parties inédites du Cycle confirment que les relations mère-fille constituent dans l’œuvre de Guèvremont ce que Lori Saint-Martin appelle une « dynamique complexe ». Je montrerai dans ma communication que Guèvremont, ne pouvant ou ne voulant aborder directement les rapports mère-fille, les transpose, les brouille. J’analyserai deux processus qui induisent ce brouillage. Le premier est celui d’une fusion de la mère et de la fille. Le second processus marque, au contraire, une séparation radicale de la fille et de la mère. Blanche Varieur, la belle-mère dans Marie-Didace, permet par exemple à Guèvremont d’exprimer l’ambivalence des rapports mère-fille. Le nom de la mère est d’ailleurs, de nouveau, au cœur de cette transposition (la belle-mère, la mère Labelle).
« L’esthétique d’une ‘littérature extrême’ : représentations de l’inceste dans le roman africain et caribéen d’expression française », Christine DUFF, Carleton University
L’écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé soutient que le plus beau rôle d’un écrivain est d’inquiéter. Mettre le lecteur en position de participant à la construction littéraire d’un événement traumatisant représente le geste le plus inquiétant que puisse réaliser un écrivain. L’évocation du trauma et de la souffrance dans la littérature n’est pas rare : des tragédies s’y trouvent racontées et examinées de toutes les perspectives. Pourtant, quel est l’effet de représenter le traumatisme « secret » et « extrême » de l’inceste dans la fiction ? À un certain égard, on pourrait situer les portraits fictifs de l’inceste à côté des récits autobiographiques de l’expérience vécue étant donné leur fonction commune de défaire le silence qui voile ce sujet tabou. Cependant, le traitement romanesque de l’inceste se prête par définition à une analyse à la fois thématique et discursive, donc un certain nombre de questions s’imposent : Pourquoi les écrivains choisissent-ils d’écrire sur ce sujet ? Dans quel but idéologique les écrivains exploitent-ils le topos de l’inceste ? En quoi diffèrent leurs diverses approches ? Dans cette communication j’aborderai ces questions dans le cadre de la littérature francophone de l’Afrique et des Caraïbes en faisant appel à un corpus de cinq romans qui s’étend sur presque tout un siècle, un continent et un archipel. D’un texte haïtien datant de 1906 à un roman écrit en 1966 par un écrivain sénégalais de grande envergure, à un récit guadeloupéen qui a paru en 1995, j’examinerai l’esthétique et le discours qui prennent forme au sein de cette « littérature extrême ».
Session II. La parole prophétique. La littérature comme diseuse de bonne aventure
Présidente : Catherine MAVRIKAKIS, Université de Montréal
Secrétaire : Évelyne LEDOUX-BEAUGRAND, Université de Montréal
« L’annonce faite à la truie. Le tératologique prophétique dans Truismes de Marie Darrieussecq », Évelyne LEDOUX-BEAUGRAND, Université de Montréal
Si le corps, ainsi que la peau qui le recouvre et le protège, sont effectivement porteurs d’un savoir sur le passé, comme nous l’a notamment appris la psychanalyse, peuvent-ils aussi annoncer une parole du futur ? « Sur quoi le destin de chacun est-il inscrit si ce n’est sur sa peau ? », demande Didier Anzieu (1981) en interrogeant cette « superstition » générale qui nous amène à considérer l’épiderme comme une surface à la fois scriptible et lisible où s’inscrit un savoir relatif non seulement au passé, mais aussi à la destinée. Dans cette perspective où le corps, en tant que lieu et présage du futur, énonce ce qui adviendra, que signifie, alors, changer de peau ? C’est littéralement ce qui arrive à la narratrice de Truismes dont l’état, en raison de sa métamorphose jamais complète, oscille, tout au long du récit, entre la femme et la truie. Placé dès lors en marge ou, encore, au-delà de toute appartenance, ne relevant ni tout à fait de l’humanité ni tout à fait de l’animalité, de quel savoir ce corps, devenu monstrueux, est-il porteur, sinon – et telle est mon hypothèse – de l’impossibilité de faire communauté. Dans le cadre de cette communication, il s’agira donc de penser l’imaginaire tératologique (Braidotti, 2001) à l’œuvre dans Truismes de Marie Darrieussecq et de cerner quelle annonce est ainsi faite à la femme truie.
« Prévenir, provoquer, faire advenir le mal. Les engagements de l’œuvre dans Vu du ciel de Christine Angot », Katerine GAGNON, Université de Montréal
L’œuvre de Christine Angot peut être lue comme un scandaleux coup monté dont le public ne pouvait pas sortir indemne. C’est le pari que nous relèverons lors de cette communication : lire Vu du ciel (1992) comme le livre qui annonçait déjà le coup de l’œuvre – un coup à monter et à porter contre le réel et ses lecteurs. Dans ce premier roman, Angot a surtout prédit une chose : elle aura utilisé la littérature à des fins performatives, et plus précisément perlocutoires, de vengeance. D’emblée, la littérature ne devait répondre non pas du réel mais à et contre lui ; elle devait être une parole hors-la-loi engagée dans un jeu avec la loi. L’œuvre d’Angot provoque donc du délit et se nourrit de cette répétition : ses « romans autobiographiques », forts de l’ambiguïté inhérente à leur genre, fabriquent de la littérature avec de la trahison, du parjure, de la diffamation et de la délation. Mais à la vérité, s’il s’agit de faire advenir, sur la place publique qu’est le livre, non seulement du crime mais aussi, surtout, de l’enquête, c’est qu’il faut faire rejouer le differend (Lyotard) et l’impossibilité même du jugement. Certes le « sujet Angot » n’a qu’une voix : celle qui requiert et s’arroge le droit à la réparation auprès des lecteurs violemment pris à partie dans ce qui a toujours été l’affaire de tout le monde. Souveraine justicière, il entend faire tomber la loi et la littérature sur tous les coupables.
« ‘Le livre que je n’écris pas’, qui l’écrit ? L’appel des commencements et des fins chez Hélène Cixous et Anne-Marie Alonzo », Catherine MAVRIKAKIS, Université de Montréal
Il s’agira à travers les textes d’Anne-Marie Alonzo «…Et la nuit » (2001) et d’Hélène Cixous, Tours promises (2004) de réfléchir sur la promesse de la gémellité (de la mère, du frère, de la sœur, de la fille, des Twin Towers) et de penser les questions de la hantise, du remplacement de soi, du dédoublement dans le lien que celles-ci entretiennent avec l’écriture du livre, toujours lui-même remplacement d’un autre, qui ne s’est pas écrit. Dans ces conditions : où commence, où finit le livre ? Quand débute l’écriture ? N’est-elle pas faite d’un avenir qu’elle annonce sans cesse tout en le différant, en portant celui-ci au sein même d’une promesse impossible à tenir et qui ne peut se comprendre que sous le mode de la prophétie incompréhensible, indéchiffrable en une seule fois, en un seul livre ? Plus largement, dans quel rapport de sororité se construisent les écrivaines Cixous et Alonzo ? Et ne sont-elles pas toutes les deux dans un travail « pré-historique » ou « post-catastrophique » (selon les mots de Cixous) qui leur permet de toujours penser la fin du texte et de la vie comme le travail même des commencements ?
Session III. L'espace au féminin dans la littérature québécoise actuelle
Présidente : Lucie LEQUIN, Université Concordia
Secrétaire : Irène OORE, Dalhousie University
« L'espace et le mouvement dans Unless d'Hélène Monette », Irène OORE, Dalhousie University
La toute première page dans Unless d'Hélène Monette est la naissance d'un univers : passage du chaos au commencement, passage de la mort de l'hiver à la renaissance du printemps. Unless déménage « d'ailleurs » et emménage « ici ». Nous allons examiner l'équilibre dynamique et les tensions spatiales qui constituent ce roman. Les tensions entre la descente (Chut) vers le drame familial (à Notre Drame, vers le sous-sol chez Walter) et l'ascension (Sherpa et le dernier étage d'un triplex à Montréal) vers les cimes de l'affirmation de soi et de son humanité dans la tendresse et dans la compassion. Nous allons étudier Unless et sa traversée de Montréal à bicyclette (Clothilde), un va et vient fait d'un équilibre difficile, a réinventer à chaque instant, un équilibre « impondérable entre les deux », un équilibre fait d'effort et de mouvement, de liberté et de création.
« Espaces autochtones au féminin dans le théâtre de Jovette Marchessault et Emmanuelle Roy », Celita LAMAR, University of Miami
Le voyage magnifique d’Emily Carr de Jovette Marchessault et Far West d’Emmanuelle Roy évoquent et mettent en scène des espaces autochtones dans lesquels se situent les protagonistes féminins des deux pièces. Emily Carr, peintre de la côte ouest née à Victoria, rencontre le totem de la D’Sonoqua, la déesse du village des chats dans les forêts de la Colombie Britannique, et reçoit les visites de son amie amérindienne Sophie dans la cour de la maison qu’Emily a baptisée « la Maison de toutes les espèces ». La métisse Anath Marcheterre abandonne son travail d’archéologue dans la Louisiane pour entreprendre une recherche plus personnelle qui l’amènera aux terres de ses ancêtres près de Sept-Îles sur la Basse Côte-Nord du Québec, un « Far West » mythique qu’elle croyait avoir quitté pour toujours. Toutes les deux ressentent des liens forts avec ces lieux ainsi qu’avec les fantômes qui semblent les habiter. Nous allons examiner les forces qui attirent ces deux femmes vers ces espaces et la façon dont elles y sont transformées par leurs rencontres humaines et spirituelles.
« L’espace en trop dans l’œuvre d’Abla Farhoud », Lucie LEQUIN, Université Concordia
La protagoniste de Splendide solitude d’Abla Farhoud n’occupe ni le temps ni l’espace. Elle se place en marge, dans les coulisses de la vie. Pourtant, riche et indépendante, propriétaire d’immeubles, elle gère ses biens matériels avec efficacité. Il s’agira d’étudier ce contraste entre la vie privée et intime où la narratrice démunie, debout à la fenêtre, observe la vie des autres, une vie sans elle, sans son impact, sans sa participation et sa vie publique de femme, en apparence, autonome et forte. Pourquoi n’a-t-elle aucune prise sur le dedans (la maison, le soi) ? Quel est ce manque qui la retient ? Sa maison est-elle un abri ou un lieu de guerre ? Quel rôle joue la mémoire dans la localisation de la (sa) faille ? Comment l’espace en trop peut-il devenir un espace à soi ? Autant de questions auxquelles il faut répondre pour comprendre comment Abla Farhoud aborde l’espace dans ce roman.
Session IV. Variantes sur le thème de la quête identitaire
Président : Jean-Denis CÔTÉ, Université Laurentienne
Secrétaire : Amy CARTAL-FALK, Lycoming College
« Les écrivains juifs de Mogador/Essaouira », Zakaria FATIH, University of Maryland Baltimore County
« Les modes de transport et la quête identitaire dans Printemps et autres saisons de Le Clézio », Amy CARTAL-FALK, Lycoming College
Dans le recueil, Printemps et autres saisons, Le Clézio fait le portrait de cinq jeune filles exilées de leur patrie. Cette expérience traumatisante marque chacune d’elles, qui vit dans un état flou où elle rêve de sa culture d’origine en même temps qu’elle est marginalisée dans une culture majoritaire. Zobéïde (Le temps ne passe pas) et la fille gitane admirée par le protagoniste dans la nouvelle Fascination ne se voient qu’à travers les yeux du jeune homme focalisateur ; le lecteur n’a pas accès aux démarches de la jeune fille à ce sujet – elles disparaissent complètement. Quant aux autres : Saba, Zinna et Gaby, pour elles la solution à ce problème existentiel, c’est de faire une fugue. Dans le cadre de cette réflexion on se propose d’étudier les signes extérieurs d’une fugue qui représente la quête identitaire chez l’adolescente et en particulier, son rapport avec un mode de transport, véhicule de sa quête. Pour Saba, c’est le vélo qui l’emporte et qui l’aide à comprendre son histoire. Pour Zinna, c’est le yacht (Dedalus) qui lui donne du bonheur. Pour Gaby, c’est un processus plus complexe : le paquebot (Brittania) et la voiture (Dodge) qui ne lui offrent que de la liberté éphémère. Nous verrons que pour toutes les trois ce qui devrait les transporter devient paradoxalement symbole de l’immobilité. On s’appuiera sur la théorie de Pierre Péju sur l’être-petite-fille et aussi sur la théorie de Laura Kreyder sur la figure de la petite fille, en tant que telle. La transformation petite fille – adolescente, minoritaire – majoritaire, ne se fait que grâce aux passages et parcours identitaires.
« Le recentrement de la notion identitaire », Natania ÉTIENNE, chercheure indépendante
« La quête identitaire dans Volkswagen Blues de Jacques Poulin », Jean-Denis CÔTÉ, Université Laurentienne
Loin de constituer un simple réceptacle du passé, la mémoire collective est toujours en mouvement, en construction. C’est au sociologue Maurice Halbwachs que l’on doit les travaux les plus éclairants sur le phénomène de la mémoire. Halbwachs a notamment mis en relief que les concepts de mémoire individuelle et de mémoire collective étaient liés de manière intrinsèque. L’individu étant un être social, c’est le groupe auquel il appartient qui lui donne les moyens de reconstruire son passé. C’est donc en échangeant avec leurs pairs, en se resituant à l’intérieur de cadres sociaux définis que les individus parviennent à établir la genèse sociale des souvenirs. Ce processus social favorise la réciprocité des perspectives qui conduit à une ouverture sur l’altérité, condition essentielle au ferment de l’identité, tant personnelle que collective. L’identité ne peut se forger qu’à l’intérieur d’un rapport dynamique à autrui. Dans les romans de Jacques Poulin, l’Autre, chargé d’une valeur significative pour le personnage principal masculin, se présente presque toujours sous les traits d’un personnage féminin. Notre communication portera spécifiquement sur le roman Volkswagen Blues et permettra de montrer en quoi, en accord avec les théories du sociologue Maurice Halbwachs, le personnage féminin, Pitsémine, se voit attribuer la fonction de gardien et de catalyseur de la mémoire individuelle et collective, participant ainsi à la formation de l’identité du personnage masculin.
Vendredi 1er juillet 10h45 – 12h15
Session I. La représentation de la guerre dans la littérature francophone III
Président : Marc BENSON, Collège militaire royal du Canada
Secrétaire : Claire KEITH, Marist College
« Les guerres de Zingha, reine d’Angola, et les représentations africanistes au siècle des lumières », Catherine GALLOUET, Hobart and William Smith Colleges
Zingha, de Castilhon, représente un cas particulier : tout d’abord parce que le texte, soi-disant historique, reprend et élabore toutes les versions africanistes en cours ; mais encore parce que l’héroïne en tant que guerrière et chef d’état pose des problèmes qui démentent les fondements mêmes de la représentation africaniste : autrement-dit, comment représenter dans un texte narratif « lisible » un personnage africain et femme de surcroit qui a tenu tête à l’avance coloniale européenne pendant des décennies ? Quelles sont les stratégies narratives qui rendent ce texte lisible ? Comment la représentation des guerres de Zingha (contre les Portugais aussi bien contre certains éléments africains), renforce-t-elle et même recrée-t-elle le texte africaniste ?
« La guerre et la caméra dans ‘La photographie’ de Leïla Sebbar : source de malédiction pour les femmes », Marie-France BUNTING, Harvard University
Leïla Sebbar a traité le thème de la photographie dans deux nouvelles : l’une intitulée « La photo d’identité » dans le recueil La jeune fille au balcon, et l’autre dans le livre Trente ans après, nouvelles de la guerre d’Algérie. Le point de départ des deux textes est le même : la violence particulière faite aux femmes des hauts plateaux algériens, dans les années 60, en leur imposant de se faire photographier sans voile, en cheveux, pour des raisons de contrôle, de « pacification ». Cet acte vécu comme un profond traumatisme entraîne une malédiction qui s’étendra à toute la famille et qui se transmettra de génération en génération. C’est un homme, dans le cas du premier texte, qui mettre fin à ce cycle maudit, c’est une femme dans le deuxième. On essaiera d’analyser l’importance du traumatisme et les implications de ces deux versions différentes.
« Voix de transition : présence de l’interprète francophone dans Les derniers jours de Pékin », Claire KEITH, Marist College
En septembre 1901, le commandant Viaud (nom de plume Pierre Loti), débarque du cuirassé Le redoutable durant les dernières convulsions de la guerre des Boxers. En mission d’information, il glane où il peut les interprètes francophones qui pourront suppléer à ses yeux, désorientés par les scènes d’une violence trop récente et d’une culture inconnue. Nous rechercherons à travers la plume autoriale des Derniers jours de Pékin le support discret, subalterne, mais essentiel des interprètes divers rencontrés au long du chemin, et distraitement mentionnés.
« Solvet saeculum : dissolution d’un empire et d’une section. La 317e section de Pierre Schoendoerffer », Alan FARREL, Virginia Military Institute
L’ordre officiel par lequel le quartier-général français expédie la colonne Condor à la relève du poste retranché de Dien Bien Phu, début mai 1954, est un chef-d’œuvre de la rationalité cartésienne avec ses paragraphes et sous-paragraphes ordonnés : secondo, tertio, quarto, quinto¼octavo¼decimo ; instructions minutieusement détaillées aux chefs de bataillons ; modalités d’exécution¼ premier temps¼deuxième temps ; prescriptions diverses : «¼veilleront à ce que les sacs des gradés ne contiennent que le stricte nécessaire¼» à travers six pages dûment tapées et de format réglementaire, toutes ces graves et officieuses ministrations aboutissant à un « message » de trois mots signalant à la fois l’échec de Condor et la perte des colonies françaises d’Indochine : « Repliez-vous immédiatement ». Ironie cuisante. Dans La 317ième section par Pierre Schoendoerffer – ancien de Dien Bien Phu, romancier, cinéaste – on est témoin de la dissolution du Nord-Laos dans une fine pluie sous laquelle la « 317ième section supplétive locale » rentre le drapeau français, prête à plonger dans la brousse pour la retraite générale. S’ensuivra la dissolution de la section pourchassée par les impitoyables « fourmis » viets ; des structures de la hiérarchie militaire anéanties par la marche éreintante à travers 100 milles de jungle ; du corps d’un jeune St-Cyrien rongé par la fatigue et la dysenterie ; de l’âme de ce dernier labourée par la constatation d’une réalité militaire sordide, irrésistible, écœurante. « C’est dégueulasse », gémit-il non moins tourmenté par une blessure mortelle que par la volonté manifestée d’un nouvel ordre du monde.
Session II. La critique littéraire et la mutation des consciences
Président : Gérard ÉTIENNE, Université de Moncton
Secrétaire : Jean-Marc GOUANVIC, Université Concordia
« Poétique et traduction : quand la traduction est critique de la littérature », Jean-Marc GOUANVIC, Université Concordia
Dans Poétique du traduire (1999), Henri Meschonnic écrit : « [...] la poétique dans la traduction joue un rôle majeur comme poétique expérimentale. [...] [L]a poétique a un rôle et un effet critiques. Critiques, c’est-à-dire de reconnaissance des stratégies et de stratégie contre le maintien de l’ordre que constituent les dogmatismes phénoménologiques ou sémiotiques» (61). De son côté, Berman, à la suite des romantiques allemands relayés par Walter Benjamin et Maurice Blanchot, analyse la traduction dans ses relations avec le commentaire et la critique (Poésie 37). Entre la poétique du traduire de Meschonnic et la traduction critique du livre à venir (Blanchot), nous nous efforcerons de définir les rapports d’inclusion et d’exclusion de la traduction (comme pratique) avec la critique. Notre perspective sera sociologique, axée sur la traduction effective de la littérature américaine en français.
« Théories de la francophonie, quels apports pour la critique ? », Vincent DESROCHES, University of Western Michigan
Je ferai le point sur les apports possibles de la théorie postcoloniale sur la critique en francophonie, et notamment sur les nouvelles perspectives comparatistes ouvertes par les travaux de Marie Vautier, qui suggère que la littérature québécoise se rapproche plutôt de celles de l'Australie ou de la Nouvelle Zélande que des littératures francophones du tiers monde, et par les travaux de Gérard Bouchard, dont Genèse des cultures du Nouveau-Monde (versus Glissant, par exemple, avec la Caraïbe en vue). Cette réflexion prendra en lumière la portée du panel sur la mutation des consciences, c'est-à-dire sur la portée réelle de notre travail, de notre engagement, dans le contexte de la mondialisation et de la folie Bush.
« Introduction à la textologie : l’exemple de L’histoire juive de Montaigne », Sophie JAMA, chercheure indépendante
Mes recherches sur l’incidence des origines juives de Michel de Montaigne, dans l’œuvre qu’il nous a laissée, n’ont été réalisables que grâce à une certaine disposition à lire un texte pour en dégager les axes fonctionnels qui permettent de l’interpréter ensuite. À partir des Essais et du Journal de voyage, il sera montré comment une hypothèse, sur un auteur et ses écrits, doit être mise à l’épreuve de la réalité en autorisant le texte à parler de lui-même et pour lui-même. Dans la région et à l’époque où vivait Montaigne, il était hors de question, pour quiconque, de laisser savoir l’existence d’une origine juive sous peine d’encourir de terribles conséquences qui pouvaient aller jusqu’à la condamnation au bûcher. Ainsi le défi de la recherche présentée à propos de L’histoire juive de Montaigne était-il d’autant plus audacieux et risqué qu’il s’agissait de découvrir du dissimulé, de révéler ce qui n’avait pas pu, à l’époque, être démasqué par la censure, de prétendre être en mesure de voir ce qu’aucun lecteur n’avait pu détecter depuis plus de quatre siècles, et d’affirmer posséder les preuves de ces révélations. C’est là que la textologie prend tout son sens. En lisant le texte de près et uniquement pour ce qu’il est, le dévoilement de l’influence de ces origines juives cachées dans les écrits de Montaigne, et de l’intérêt de l’homme pour le judaïsme ne laissent plus guère de doutes.
« La critique journalistique et la critique savante», Gérard ÉTIENNE, Université de Moncton
Dans cet exposé Gérard Étienne se propose de montrer comment la critique savante a contribué au rayonnement des auteurs et de leurs œuvres. Et ceci depuis les tous premiers grands penseurs Platon et Aristote jusqu'aux philosophes des temps modernes, particulièrement Jean-Paul Sartre. Mais pour une raison sur laquelle une sociologie littéraire pourrait se pencher, la critique des journaux et des clans semble orienter les consciences vers des productions qui hélas ne résistent pas au temps, comparativement à la critique savante dont les hypothèses transcendent les données brutes de la critique journalistique. D'où la nécessité absolue, dans la mesure où l'on s'intéresse à une production littéraire, de se référer à la critique savante pour des communications, des publications et des thèses de maîtrise et de doctorat.
Session III. Terre(s) antillaise(s)
Présidente : Florence RAMOND JURNEY, Gettysburg College
Secrétaire : Marc BRUDZINSKI, University of Miami
« Voix modulée et perspectives plurielles dans La grande drive des esprits (1993) de Gisèle Pineau », Annik DOQUIRE KERSZBERG, Lock Haven University of Pennsylvania
La grande drive des esprits relate la vie de Léonce, « un beau nègre noir », et de ses proches, dans un coin de Guadeloupe, tout au long du XXe siècle. Hommes et femmes, jeunes et vieux, heurs et malheurs, espoirs et déceptions, scepticisme et sorcellerie s’entremêlent et s’entrechoquent dans ce « roman de l’enracinement », selon l’expression d’une écrivaine « neg’zagonale ». Les actions et les pensées intérieures des personnages sont tout d’abord présentées par une voix narratrice apparemment hors du récit (« extradiégétique » selon la terminologie de Gérard Genette), qui adopte les différents points de vue des protagonistes tout en relayant leurs voix diverses en style direct. Néanmoins, ce choix narratologique n’est pas systématique. En effet, dès le chapitre V, une voix intradiégétique féminine, s’exprimant à la première personne du singulier, apparaît et se révèlera, au fil du récit et a posteriori, comme la seule instance narratrice probable. Je propose de retracer cette stratégie narrative remarquable, tout en soulignant son ingéniosité à tresser un point de vue extérieur critique, celui de la jeune narratrice, avec une perspective insulaire imprégnée des senteurs et des saveurs du lieu ainsi que de croyances magico-religieuses. Ce jeu scriptural reflète les sentiments souvent conflictuels, et toujours douloureux, des nombreux personnages pris dans les filets des structures traditionnelles.
« Cataclysme et renaissance dans L'île et une nuit de Daniel Maximin », Deborah GAENSBAUER, Regis University
Qu’il s’agisse des arguments scientifiques des environnementalistes ou de l’éthique de « l’écologie profonde, » les explications du monde naturel se prêtent plus confortablement aux discours techniques ou idéologiques qu’aux discours philosophiques interrogeant le monde naturel aux limites du rationnel. Caliban’s Reason, un essai de Paget Henry, offre un contrepoids important à ce modèle. Cherchant à combler « la séparation radicale entre le matériel et le spirituel » manifeste aux Antilles dans le désaccord entre « poéticistes » et « historicistes, » il démontre l’existence d’un discours philosophique spécifique aux îles caraïbes ayant ses origines dans un existentialisme africain qui privilégie les interventions du monde naturel. Henry cite Fanon et Césaire pour développer ses arguments. L’œuvre de Maximin, où l’enjeu intertextuel géographique et littéraire témoigne de l’influence de Césaire et de Fanon mais aussi d’une forte résistance à leurs formulations identitaires, aurait mieux servi. «Ailes, » « Îles,» « Nous » : l’imbrication du monde naturel dans l’identité antillaise évoquée par le jeu homophonique des titres dans son Invention des désirades, illustre le rôle critique joué par la géographie dans L’île et une nuit qui répond à un inventaire des violences constitutives de l’identité antillaise par un péan à la nature guerrière de l’archipel. Cette communication analysera l’importance du cyclone « Hugo » dans ce roman comme une réanimation de l’espace psychologique et philosophique de l’île antillaise, catalyseur d’un synergisme fécond du monde naturel, mythique, et musical mettant en question la disjonction radicale entre l’esprit et la matière.
« Le pays est-il une île ? : l'insularité dans Cahier d'un retour au pays natal », Marc BRUDZINSKI, University of Miami
Étudié depuis longtemps pour sa contribution à la problématique raciale, Cahier d'un retour au pays natal pose aussi d'intéressantes questions relatives à l'espace – et en particulier à la politisation de l'image cartographique de l'île. Dans mon intervention j'étudie donc la fonction de « l'île » dans le poème de Césaire. En faisant appel aux théories marxistes et postcoloniales, je considère quelques-uns des sujets d'importance dans le poème : le rapport entre l'individu et la collectivité, la possibilité d'une identité raciale ou géographique, et la centralisation coloniale du pouvoir économique. Ensuite, je montre comment l'image d'une Martinique insulaire permet au poète de répondre à ces questions d'une façon qui remet en cause la séparation théorique qui peut exister entre l'espace d'un côté, et la politique et l'histoire de l'autre.
« L’île assiégée chez Raphaël Confiant », Florence RAMOND JURNEY, Gettysburg College
Dans cette communication, on se penchera sur les différents portraits que Raphaël Confiant donne de la Martinique dans Le Nègre et l’amiral et Le barbare enchanté. À travers ces deux récits, je montrerai comment l’image de l’île est celle d’une terre assiégée, soit par le regard de l’autre (Le barbare enchanté) soit par les actions de l’autre (Le Nègre et l’amiral). J’indiquerai tout d’abord que l’image de l’île qui en ressort est celle d’une île en tableaux dans laquelle les tableaux picturaux se mêlent aux tableaux politiques. Je décrirai ensuite comment cette image se transforme en celle d’une île communautaire où l’île doit son âme à toute une communauté locale. Finalement, je me pencherai sur le style narratif de Confiant pour insister sur le fait que l’île apparaît comme une entité hors-temps tant les digressions internes à la narration rendent le récit mouvant. À cause de sa position d’île assiégée « contrainte de jouer dans son nombril » ou même apprivoisée par le regard de l’artiste, la Martinique du Nègre et de l’amiral et du Barbare enchanté reflète les tiraillements d’une terre toujours colonisée.
Session IV. La Francophonie roumaine dans les arts et les lettres
Présidente : Raymonde BULGER, Graceland University
Secrétaire : Mariana IONESCU, Huron University College
« L’espace mental roumain chez Cioran et les paradoxes d’un philosophe sentimental », Mihaela St. RADULESCU, Université Technique de Construction de Bucarest
La communication porte sur la vision de Cioran de l’espace mental roumain et relève ambiguïtés, contradictions et paradoxes, caractéristiques d’ailleurs à sa pensée, ainsi que des limites et des lacunes de ses analyses. Par la présentation de certains aspects de son œuvre, issus, quelques-uns, des écrits posthumes de Cioran, moins connus, nous nous proposons de contribuer à une meilleure compréhension de certaines de ses idées sur l’espace spirituel roumain, qu’il renie et adule à la fois. En fait, une lecture attentive de l’œuvre de Cioran et de sa correspondance conduit à l’idée que les pensées sur le lieu de sa naissance – « ce maudit, ce splendide Rasinari », d’où « un bohème » est parti « conquérir » le monde – reviennent de manière obsessionnelle dans ses écrits. En montrant les difficultés de séparer un « vrai » d'un « faux » Cioran, la communication met en évidence la nature contradictoire de ce philosophe original, qui affirme avoir connu « toutes les formes de déchéance, y compris le succès » et qui est devenu, par l’élégance et le raffinement de son style, écrivain emblématique de la langue française.
« E. M. Cioran et son choix de portraits littéraires : injustice et profondeur des beaux esprits », Aurélia ROMAN, Georgetown University
Anthologie du portrait. De Saint-Simon à Tocqueville est la dernière œuvre d'Émile Cioran, œuvre posthume, parue chez Gallimard en 1996, deux ans après la disparition de l'écrivain. L'idée d'une anthologie du portrait avait préoccupé Cioran pendant de longues années. Le portrait littéraire qui, selon Cioran, est « l'art de fixer un personnage, d'en dévoiler les mystères attachants ou ténébreux », est détaché de ses nombreuses lectures de Mémoires et de correspondances. Vingt-cinq auteurs du XVIIIe et du XIXe siècles nous présentent une galerie séduisante de portraits, de Jean-Jacques Rousseau à Napoléon, de Talleyrand, « parasite de son époque dont il incarnait les vices », à Mme Roland, l'héroïque incorruptible, pour finir avec un portait collectif de la foule tumultueuse lors de la Révolution de 1848, telle qu'elle apparaît sous la plume d'Alexis de Tocqueville. Le but de cette communication est de présenter une vue d'ensemble sur la fascinante variété de ces personnages tout en essayant d'ouvrir une enquête sur quelques questions importantes. À travers la diversité de portraits pourrons-nous détacher des traits communs tant pour les individus que pour la société qu'ils représentent ? En quoi consiste l'incontestable élégance de l'expression et pourra-t-elle nous aider à mieux apprécier son influence sur Cioran, ce grand maître du style ?
« Le vol et l’envol des Léda chez le paysan du Danube, Constantin Brancusi (1876-1957) », Raymonde BULGER, Graceland University
Comment le sculpteur roumain interprète le mythe de Léda et du cygne, fera l’objet de notre présentation qui soulignera les dimensions historiques et mythiques de la fable ainsi que les connotations littéraires. Nous verrons comment la conjonction des contraires : absence/présence de l’oiseau, désir/désirée, destruction/renaissance, transformera le vol (viol) en envol d’une Léda devenue androgyne.
Session V. De soi à la communauté en littératures francophones féminines d’Afrique et des Caraïbes II
Président : Ikanga TCHOMBA, Ohio State University
Secrétaire : Anne M. FRANÇOIS, Eastern University
« Clementine Nzuji-Faik : une femme africaine devant l’histoire », Maurice AMURI MPALA LUTEBELE, Université de Lubumbashi
Poète, linguiste anthropologue, Clémentine Nzuji-Faik intègre intensément la parole dans la pratique sociale. Du fait social au fait social en passant par le fait littéraire, artistique, elle communique. Elle dit la femme, sa condition, sa responsabilité. Elle dit l’homme, son environnement, sa culture, son histoire. Elle se découvre « gardienne de la parole ancestrale », « détentrice des charmes », « détentrice des semences ». Elle passe de la « configuration congolaise » à la « spécialiste des cultures africaines ». Tous ces visages de Clémentine Nzuji-Faik se révèlent dans son œuvre poétique. La lecture immanente de Murmures (1968), de Le temps des amants (1969), de Kasala (1969) et de Lianes (1971) dévoile une femme en situation, aux prises avec son histoire. Ce que nous allons démontrer dans ce travail.
« Espace-lit et souvenirs désertiques : l’espace-signe dans La transe des insoumis de Malika Mokkedem », Gloria ONYEOZIRI, University of British Columbia
Dans La transe des insoumis, Malika Mokkedem cherche à s’expliquer sa vie comme ensemble malgré les ruptures qui la caractérisent. Parmi les signes mobiles, éminemment sujets à la réinterprétation, le lit figure au premier plan. Il constitue un espace, un moment, un temps prolongé (comme le temps de l’insomnie), un symbole sexuel de traumatisme, de désir et de deuil et un emblème culturel célébrant la mémoire d’un passé nomade où le désert et l’errance préfigurent une liberté qui sera durement acquise. À l’aide de quelques notions de sémiotique spatiale, nous étudierons les différents aspects de la fonction du lit dans ce texte. Il s’agira, d’une part, de plusieurs espaces personnels, familiaux, sociopolitiques et professionnels : le lit de la méditation solitaire, le lit-paillasse de fratrie, la chambre des parents et la cuisine de la grand-mère, le chez-soi de l’enfance opposé à la solitude de l’exil, le lit de l’immigré-patient où le médecin s’assoit pour interroger et écouter « l’ininterrogable ». Ces espaces représentent une organisation et une désorganisation de la vie de la narratrice : son corps situé dans un espace-temps signifiant sans y être pour autant fixé. D’autre part, il s’agira d’un investissement symbolique dans le cadre un travail d’énonciation à la fois critique, autocritique et réconciliateur par rapport au passé de la narratrice, à sa famille et culture d’origine et à son univers de femme maghrébine exilée.
« Irruption des romancières africaines francophones : rupture du silence et des interdits ? », Ramonu Abiodun SANUSI, George Mason University
En donnant à leur expérience une forme autobiographique, littéraire ou romanesque, les romancières telles que Mariama Bâ, Angele Rawiri et Regina Yaou parmi tant d'autres, réfléchissent sur les multiples problèmes en rapport avec les femmes africaines. Ces romancières livrent ainsi au public leur expérience personnelle par le biais de leurs écrits respectifs. Cette réflexion se basera sur Une si longue lettre, Un chant écarlate, Fureurs et cris de femmes et Le prix de la révolte. Dans ces ouvrages se développe le long cortège des épreuves, des peines et des angoisses qui accompagnent la vie d'une femme africaine sous le foyer conjugal. Notre objectif est donc de mettre en exergue les portraits des mères, des protagonistes face aux difficultés qu'elles rencontrent dans leur foyer conjugal. Il s’agira aussi de la peinture du caractère quelquefois navrant des belles-mères, des belles-sœurs et des amantes.
Vendredi 1er juillet 14h15 – 15h45
Session I. D'un genre, d'un texte à l'autre. Littérature et cinéma au Maghreb
Président : Alexie TCHEUYAP, Université de Calgary
Secrétaire : Katherine ROBERTS, chercheure indépendante
« Des Vigiles aux Suspects : configuration et reconfiguration des rapports de genre chez Tahar Djaout et Kamal Dehane », Katherine ROBERTS, chercheure indépendante
L’écrivain algérien Tahar Djaout fut assassiné au mois de juin 1993. Le cinéaste Kamal Dehane, ami d’enfance de Djaout, avait déjà l’intention de porter à l’écran son roman, Les vigiles (1991), portrait corrosif de la société algérienne vue à travers les tracas administratifs infligés à un jeune inventeur. Or dans Les suspects que Dehane réalise en 2004, long-métrage inspiré du roman, la trame narrative se voit reconfigurée. Au personnage principal de l’inventeur est ajouté la pyschologue Samia, jeune psychiatre algérienne qui récolte les témoignages d'anciens combattants. L’ajout du personnage transforme le texte romanesque au point où il devient difficile de parler d’une adaptation au sens strict car la situation de conflit individu/société du texte tuteur bascule, dans le texte filmique, vers une réflexion sur les rapports homme/femme dans la société algérienne. Cette communication propose d’analyser les transformations apportées au roman, mettant ainsi en relief l’engagement du cinéaste pour la cause des femmes algériennes.
« Sexe, crime et résilience dans Le châtiment des hypocrites de Leïla Marouane », Thomas BESCH, Université de Louisiane à Lafayette
Le châtiment des hypocrites de Leïla Marouane fait partie des textes qui marquent une époque, celle des années postcoloniales franco-algériennes. Son personnage principal est d’abord victime de la guerre civile en Algérie et confronté à l’héritage de la décolonisation ; puis, il se trouve en porte-à-faux entre la tradition matriarcale et des représentations d’une masculinité barbue (les Islamistes) ou glabre (un mari algéro-parisien) : Mlle Kosra – héroïne à la triple dénomination – effectue ainsi une navigation silencieuse, dans un corps douloureux, à la recherche de son identité fracturée. Sa quête s’appuie sur des lieux vibrants – le maquis, Alger, Paris – qu’elle investit de fantasmes érotiques. L’auteur maintient les tensions entre la sublimation fantasmatique et le réel grâce à une écriture vive, captivante jusque dans la mémoire de son personnage, « jeune écervelée ». L’individue (sic) qu’elle deviendra dans les dernières pages du roman ne pourra s’approprier sa première personne singulière, le « je » de la narration, qu’en phase de décompensation irréversible. À mi-chemin entre Boule de Suif et Le horla, elle s’émancipera en effet de son statut de victime émissaire et contiendra l’abîme de la folie par un maricide. De ce texte à la violence contenue par un humour distanciateur, émerge une économie souterraine : un parcours de régression analytique et une réduction des tensions traumatiques (tortures, deuils, chantages) vers un être-au-monde paradoxal : la résilience.
« La réécriture de l'identité : la voie de la négation », Daria SAMOKHINA, University of Notre Dame
Le roman Cette aveuglante absence de lumière de Ben Jelloun est en quelque mesure une œuvre de témoignage. Comme telle, elle donne une place dans l'existence à tout ce qui a été nié, couvert de silence. En tant qu'œuvre de fiction, elle s'inscrit parmi d'autres œuvres de la littérature française et francophone, même si Ben Jelloun préfère être considéré comme un écrivain, sans adjectif définissant son appartenance à une tradition quelconque. « Le bilinguisme, la double culture, le métissage des civilisations constituent une chance et une richesse, ce qui permet une belle aventure », affirme-t-il dans sons article intitulé « Suis-je un écrivain arabe ? ». Une expérience réelle qui s'est passée au Maroc, le pays d'origine de l'écrivain, est inscrite dans la langue française et dans la tradition de la littérature française. On peut tracer des parallèles entre l'œuvre de Tahar Ben Jelloun et celle de Camus. Le texte de Ben Jelloun même contient des références au roman camusien L'étranger. Ben Jelloun tente d'adapter le texte de Camus au contexte qu'il recrée dans son propre roman : « Lire et relire ne suffisait plus à nous occuper. Il fallait inventer, réécrire l'histoire, l'adapter à notre solitude. L'Étranger était idéal pour ce genre d'exercice » (145). Encore un texte de Camus auquel le roman de Ben Jelloun semble faire écho, c'est le récit « Renégat ou un esprit confus ». On ne peut affirmer que le roman de Ben Jelloun soit nécessairement influencé par le récit de Camus. Nous observerons néanmoins la manière dont deux écrivains avec un héritage culturel différent procèdent pour peindre une atmosphère de souffrance corporelle et l'effet de cette souffrance sur l'esprit.
« Enjeux de l'autoréécriture chez Sembène Ousmane et Merzac Allouache », Alexie TCHEUYAP, Université de Calgary
Que se passe-t-il lorsqu'un cinéaste effectue une réécriture romanesque de son propre film ? Cette communication se basera sur Guelwaar et Bab El Oued pour dégager les enjeux théoriques, socioculturels et idéologiques du passage de l'image à l'écrit. Elle déterminera aussi les permanences et les variations observables dans les processus de reprise au dessus et au dessous du Sahara.
Session II. Du collage à l’autofiction
Présidente : Mariana IONESCU, Huron University College
Secrétaire : Anne Marie MIRAGLIA, Université de Waterloo
« À partir d’Une mère russe, en passant par Mon père, jusqu’au Départ : l’autofiction d’Alain Bosquet », Christine TIPPER, Université d’Exeter
Cette communication propose d’explorer trois œuvres autobiographiques d’Alain Bosquet où l’auteur se sert de son écriture pour exercer son contrôle sur son environnement et sur ses rapports avec ses parents. L’analyse de ces œuvres construites selon une logique du discontinu et de l’hétérogène permet de mettre en lumière les rôles joués par la fiction ainsi que par le lecteur. À travers la comparaison des trois textes, à savoir Une mère russe (1978),Lettre à mon père qui aurait eu cent ans (1986) et Un départ (1998), nous examinerons la progression du genre autofictionnel tel que proposé par Bosquet. En 1978, Alain Bosquet a publié Une mère russe, texte cité par Doubrovsky qui, en 1977, a inventé le néologisme autofiction, comme exemplaire du genre. À cette époque-là, l’écriture de Bosquet était motivée uniquement par le souvenir de sa mère qui venait de mourir et par les rapports affectifs qu’il avait entretenus avec elle. Dans Lettre à mon père qui aurait eu cent ans, Bosquet a poussé les frontières du genre plus loin par l’inclusion de scènes imaginaires de la vie de son père. Puis, à l’approche de sa mort, Bosquet a écrit Un départ, comme testament à être publié après son décès. Cette fois-ci, l’auteur était conscient du rôle du lecteur avec qui il joue autant qu’avec le genre autobiographique. Il y entremêle les détails de sa maladie avec la remémoration et la « fictionnalisation » des épisodes marquants de son passé.
« D’une histoire d’amour l’autre : coupé collé chez Marguerite Duras et Sophie Calle », Anne-Marie OBAJTEK-KIRKWOOD, Drexel University
Cette étude compare des auteures françaises assez éloignées en apparence, la première, Marguerite Duras, célébrée pour sa vision avant-gardiste du sujet postmoderne, la seconde pour ses recherches jusqu’auboutistes postmodernes de la perception de l’Autre. Avec L’amant (1984), Duras reçoit le Goncourt. Ce récit est publié un an avant que Calle ne vive une passion qu'elle relatera pratiquement vingt ans plus tard dans Douleur exquise (2003). Ces deux « romans » comportent des pactes autobiographiques clairs, se construisent selon une logique du discontinu, du fragmentaire et du collage tout en fictionnalisant des éléments autobiographiques. Romans d’amour écourté, L’amant raconte l’histoire d’amour de la jeune Marguerite Duras en Indochine et la séparation imposée par la famille de son amant ; Douleur exquise narre comment Sophie Calle a survécu à la séparation que lui a imposée son amant. Chez Duras, le texte commente des photographies – dont l’une, jamais prise – sans les inclure dans le récit en tant que telles. Chez Calle, les textes servent de miroir aux photographies bien présentes ou se substituent à elles. L’autofiction qui s’écrit à plusieurs voix chez Duras comme chez Calle engendre une lecture de type métonymique des textes. La juxtaposition de fragments relevant de narrations diverses, si elle permet au sens de se démultiplier, contribue à le déférer sans cesse d’un fragment à un autre jusqu’à l’oubli des amants et la guérison des amantes.
« Qu’est-ce qu’une biofiction ? L’immense fatigue des pierres de Régine Robin », Carla TABAN, Université de Toronto
Notre communication prend comme objet principal de réflexion le recueil de Régine Robin, L’immense fatigue des pierres (1996). La mention générique de la couverture du livre place les sept textes qui le composent dans une catégorie littéraire inédite, à savoir celle de la biofiction. En relevant le défi que représente ce terme forgé par l’écrivaine, notre but sera d’essayer de circonscrire sa signification. Pour ceci faire, nous recourrons comme à des points d’appui et d’éclairage à d’autres écrits de Robin, des écrits d’ordre théorique cette fois-ci, où il n’est pas ouvertement question de biofictions, mais où il nous semble pouvoir trouver tous les éléments nécessaires pour définir ce terme. Le projet de Robin, tel que nous l’entendons, est de faire sortir des ténèbres le travail d’imagination qui sous-tend toute remémoration du passé. Pour accomplir ce projet, Robin se tourne vers la littérature – domaine par excellence de la fiction – en dépassant les cadres de l’Histoire, de la généalogie et de l’autobiographie et en rejoignant du même coup ceux de la métafiction historiographique, du roman familial et de l’autofiction. La biofiction (étymologiquement « vie imaginaire, inventée ») qui est utilisée comme terme générique en tête de L’immense fatigue des pierres sera donc définie comme le genre littéraire qui synthétise la métafiction historiographique, le roman familial et l’autofiction et qui se propose de dévoiler, à travers les récits de vie qu’elle invente, la mémoire imageante à l’œuvre dans toute réappropriation du passé : collectif, familial et individuel.
« Hybridité générique et scripturale dans Histoire de la femme cannibale de Maryse Condé », Mariana IONESCU, Huron University College
Histoire de la femme cannibale (2003) plonge le lecteur dans un monde à la fois réel et fictionnel, où la problématique identitaire se (re)définit dans un espace pluriel, ayant comme centre l’Afrique du Sud post-apartheid. À l’instar de Traversée de la mangrove, la recherche identitaire est déclenchée par une mort mystérieuse, celle de l’universitaire britannique Stephen, dont la compagne, Rosélie (peintre d’origine guadeloupéenne), vit dans son ombre depuis une vingtaine d’années. L’enquête policière qui s’ensuit, doublée de l’enquête personnelle de Rosélie, est constamment entrecoupée par les récits de plusieurs personnages appartenant à des races et à des milieux différents. Tout d’abord, nous analyserons l’écriture hybride de ce roman-collage témoignant d’une riche intertextualité, dont l’unité est assurée par Rosélie, « femme invisible » découvrant les réalités décevantes des relations interraciales. Son intérêt grandissant pour l’histoire de Fiéla, « la femme cannibale » du Cap, lui permet de réfléchir sur la question de l’altérité dans un monde où les gens « se dévorent » pour se détruire et non pas pour s’enrichir des valeurs des autres. À partir de ces deux paradigmes liés à la condition de la femme, Condé explore l’état actuel du « village global ». Nous étudierons aussi ce texte autofictionnel (Rosélie « c’est moi mais, en même temps, ce n’est pas moi ») afin de mettre en évidence la position particulière de Condé, qui réaffirme son statut d’écrivaine des Caraïbes, tout en refusant d’adhérer à un mouvement théorique ou idéologique particulier.
Session III. Le corps dans la littérature francophone contemporaine II
Présidente : Lydia LAMONTAGNE, Université d’Ottawa
Secrétaire : Nathalie LAVAL BOURGADE, Université des Antilles-Guyane
« De l’obscène selon Beckett », Yann MEVEL, Université du Tohoku
Qualifier d’obscène l’esthétique de Beckett n’équivaut pas, pour nous, à porter sur elle un jugement moral. Bien au contraire, il s’agirait ici de tenter de percevoir dans quelle mesure le terme – en rassemblant ce qui, dans l’œuvre, relève de la sexualité, du scatologique, de la déchéance – permet de rendre compte des traits constitutifs de cette esthétique. Cantonner, de prime abord, l’obscène dans le champ de l’imaginaire reviendrait à prendre le risque de rééditer un inventaire thématique, alors même qu’il nous faut percevoir la nécessité de ces motifs. L’obscène permet de prendre en considération, d’un même mouvement, imaginaire et esthétique : à l’impudeur répondrait ici une esthétique de la dénudation et de l’excès, à l’envahissement du « sale » (le terme servit au XVIIe siècle à traduire « obscenus ») une esthétique qui affiche son « impureté » et son hétérogénéité. « En général, l’obscénité fait tableau […] », notaient Beauzée et Roubaud dans leur Dictionnaire universel des synonymes de la langue française (1801). Selon J. Ch. Ambramovici, dans Obscénité et classicisme (2003), la formule suggère que la « capacité » de l’obscène « à évoquer son référent lui donne forme et mouvement ». L’œuvre de Beckett, quant à elle, lorsqu’elle prend le corps pour objet joue de la confrontation de la forme et du mouvement, de sorte que le mouvement met à mal la forme, et met le corps « hors scène ». Le corps beckettien est, tout à la fois, ce qui ne doit et ne peut pas se voir.
« Les corps vibrants dans deux romans de Gisèle Bienne, Marie-Salope et Paysages de l’insomnie », Colette CAMELIN, Université de Poitiers
La scène centrale du premier roman de Gisèle Bienne, Marie-Salope (1976, réédition 2004), représente une atteinte au corps : le père de Marie, une adolescente de quinze ans, lui coupe les cheveux de force ; il s’attaque à sa féminité naissante, réprime sa révolte. Dans le même roman, la mère entre en fureur quand la plus jeune de ses enfants salit sa culotte. Marie tente de répondre par des mots à la violence brute des corps. Le dernier roman de Gisèle Bienne, Paysages de l’insomnie (2004), se noue autour de corps blessés. Marcel est revenu indemne de la Première Guerre mondiale, mais son « corps-esprit » reste atteint par les massacres auxquels il a participé, si bien qu’il ne trouve un peu de soulagement qu’auprès de compagnons mutilés. Sa femme, Irénée, le corps bridé par une éducation religieuse puritaine, s’effraie du corps souffrant de cet homme lyrique et révolté. Ces deux romans interrogent l’énergie sauvage du corps dont les mouvements, les désirs sont à l’origine d’atteintes perpétrées par diverses institutions (la famille, la religion, l’armée…). La voix de l’écriture s’attache à faire résonner ces corps vibrants. On s’appuiera sur la notion de « corps dans organes » (Deleuze, Mille Plateaux), sur le « corps-esprit » de Lorand Gaspar, avec, en arrière-plan, la pensée de Michaux.
« Le corps comme écueil d’un dépassement dans la littérature caribéenne d'expression francophone », Nathalie LAVAL BOURGADE, Université des Antilles-Guyane
Dans de nombreux romans antillais d’expression francophone, le corps nègre, du fait de ses caractéristiques anthropophysiques et de l’histoire de son façonnement identitaire rattaché à l’esclavagisme qui l’a chargé d’une imagerie péjorative, surgit comme instrument d’aliénation, de mutilation ou de trahison. Pourtant, la désaliénation de l’être considérant son corps comme moteur calomniateur voire comme négation de son propre lui-même, doit apprendre à le sublimer, pour mieux se réclamer de sa négrité et en faire le vecteur d’une identité exhumée des tréfonds des préjugés. Comment s’articule la réhabilitation du corps noir, est-il haïssable ou louangé ? Entre dépassement et conditionnement, les romanciers caribéens questionnent le corps comme instrument de sujétion ou de transcendance, démontrant ainsi qu’il est difficile de le percevoir autrement que dans une dialectique.
Session IV. Écrivaines du 21e siècle II
Présidente : Karen MCPHERSON, University of Oregon
Secrétaire : Julie NACK NGUE, University of California, Los Angeles
« L’an 2000 selon Ken Bugul : La folie et la mort de l’Afrique ? », Julie NACK NGUE, University of California, Los Angeles
La folie et la mort représente le premier roman non-autobiographique de l’écrivaine sénégalaise. On y constate un changement de perspective d’où la subjectivité des protagonistes féminins veut exprimer celle d’un pays entier, subjugué par un tyran cruel. Le niveau d’engagement politique est incontestablement amplifié dans ce roman. Ce n’est guère accessoire que Bugul refuse de nommer le pays africain en question ; de cette manière, elle ouvre un nouvel espace discursif transnational dans la littérature francophone des Africaines. Par contre, Bugul situe l’histoire dans un moment précis : l’an 2000. Elle évoque des événements historiques réels (le génocide rwandais, le meurtre de Lumumba) dans son portrait d’un régime corrompu, cruel et absurde (le décret qui terrorise et envahit le peuple dit que tous les fous doivent être tués). Sous de telles conditions, la protagoniste et sa meilleure amie vivent entre des états de collaboration, de résignation et de résistance, tels qu’Achille Mbembe les conçoit. À la fin du roman, ces héroïnes problématiques sont toutes les deux mortes non pas aux mains du régime, mais aux mains de la communauté, victime elle aussi des cruautés du régime. Comment lire une telle « fin » ? S’agit-il d’une vision pessimiste de l’Afrique, son passé et son avenir ? Ces deux femmes représentent-elles des victimes ou des collaboratrices ? C’est à travers une analyse du corps féminin – ses déplacements, sa résignation, sa paralysie, sa révolte et sa ténacité – que je compte proposer une réponse à ces questions.
« Borderline de Marie-Sissi Labrèche : à la croisée du nihilisme et du romantisme », Lucie GUILLEMETTE, Université du Québec à Trois-Rivières
Marie-Sissi Labrèche est une romancière québécoise qui s’adonne à l’autofiction, si l’on songe à Borderline (2000) et à La brèche (2003). Dans un contexte culturel marqué par l’apogée des écritures du moi, force est de constater que les héroïnes romanesques de Labrèche souffrent. Dans cet exposé, j’aimerais démontrer que certains aspects du romantisme français du XIXe siècle s’articulent dans le roman Borderline. Si le texte traduit une « ère du vide » (Lipovetsky) et se pose comme une négation de la vie sous plusieurs aspects, il fait état également d’un malaise que les Romantiques qualifiaient de « mal du siècle ». Selon Löwy et Sayre, « le romantisme naît d’une opposition à cette réalité capitaliste/moderne –désignée parfois dans le langage romantique comme la réalité tout court ». Au fil de cette étude, il s’agit de montrer que le « mal du siècle » postmoderne s’exprime de façon tranchante et cynique dans le roman Borderline, alors que l’héroïne, prénommée Sissi, est une consommatrice désabusée à une époque où s’accentue la tendance individualiste et narcissique. Confronté à une société où la consommation de masse conditionne l’individu, le personnage principal éprouve un sentiment de trop plein : « [Mes sentiments] débordent de partout, comme du vomi d’un sac en papier. » (Labrèche). À la lumière de ces considérations, il importe d’examiner les diverses manifestations du mal romantique dans l’autofiction de Labrèche.
« Évocations du XXIe siècle naissant dans Le cœur est un muscle involontaire de Monique Proulx », Carole KRUGER, Davidson College
Dans Le cœur est un muscle involontaire (2002), Monique Proulx dessine de nouveau le portrait de la ville nord-américaine moderne. En suivant l’itinéraire de Florence, sa jeune narratrice internaute partie à la recherche du grand écrivain invisible nommé Pierre Laliberté, le lecteur se retrouve un peu dans le Montréal évoqué par Proulx il y a neuf ans dans Les aurores montréales (1996). Cette fois-ci, l’auteure ne se limite pas aux paysages urbains montréalais, et choisit cette autre capitale culturelle, New York City, comme un deuxième lieu privilégié du récit. Si la topographie du roman nous invite à le classer parmi autant de textes québécois qui évoquent la vie urbaine contemporaine, la présence de points de repères temporels nous oblige pourtant à lire le texte dans sa spécificité, c’est à dire comme un texte destiné à un public nord-américain qui aura vécu les deux premières années du troisième millénaire. Cette communication aura pour but d’examiner d’abord les éléments du roman qui servent à signaler la modernité : discussion des technologies de pointe ; existence chez les personnages des liens familiaux non-traditionnels ; allusions aux personnalités de l’actualité ; et énumération des produits de grande consommation et leurs marques. Puis, j’aborderai la façon dont Proulx se sert des événements du 11 septembre 2001 afin de souligner la magnitude de la catastrophe personnelle qui bouleverse Florence vers la fin du roman, ainsi de sous-tendre des réflexions au sujet des moments de transition.
« Écrire le bébé : traumatisme et jouissance », Francesca COUNIHAN, National University of Ireland – Maynooth
En regardant l’œuvre des écrivaines françaises de la fin du XXe et du début du XXIe siècle, on est frappé par le nombre d’ouvrages qui racontent la relation mère-bébé en essayant de toucher le vrai et d’éviter les idées convenues. Je pense notamment à l’ouvrage de Marie Darrieussecq, intitulé simplement Le bébé ; ou à Christine Angot racontant la naissance de sa fille dans Interview, et sa relation avec elle dans Léonore, toujours. Il s’agit dans ces cas-là de célébrer une relation existante, aboutie, même si elle donne lieu parfois à des sentiments ambivalents. Mais dans d’autres ouvrages de cette période, on trouve également la trace d’un événement très douloureux, de la perte prématurée d’un enfant chéri, frère, fils ou fille de la narratrice. Ces récits (je pense à celui de Laure Adler, À ce soir ou encore à Philippe, de Camille Laurens) font vivement ressentir la douleur vécue par la narratrice. Dans certains cas, cet événement, même inexprimé, se lit en filigrane dans toute l’œuvre de l’auteur). La critique récente a remarqué l’importance dans l’écriture féminine contemporaine de « l’écriture du traumatisme » (par exemple dans Women’s Writing in Contemporary France, édité par Gill Rye et Michael Worton en 2002). « L’écriture du bébé » correspond dans une certaine mesure à ce paradigme ; mais elle le dépasse aussi, puisqu’il s’agit également d’une écriture de la célébration et de la joie. Dans mon intervention, je souhaiterais explorer ce phénomène et approfondir d’avantage les ambivalences qui le caractérisent, en m’appuyant sur les ouvrages d’Angot, Adler, Darrieussecq et Laurens mentionnés ci-dessus.
Session V. Hommage à Ahmadou Kourouma
Président : Pierre Kadi SOSSOU, Université d’Ottawa
Secrétaire : Bernadette KASSI, Université du Québec en Outaouais
« Le périple néobaroque de Maclédio dans En attendant le vote des bêtes sauvages d’Ahmadou Kourouma », Margaret COLVIN, Ball State University
La guerre froide est l’époque à laquelle se déroule « l’opéra-bouffe » d’Ahmadou Kourouma, En attendant le vote des bêtes sauvages (1998). Koyaga est le « Guide suprême » de la fictive République du Golfe, où il règne brutalement avec l’aide de son ministre de l’Orientation Maclédio. Dans un effort de rattraper son pouvoir perdu, Koyaga se réunit avec ce dernier et sa confrérie de chasseurs pour se faire chanter son donsomana, une sorte d’épopée ouest-africaine. Le roman prend la forme même de ce rituel sacré et « chante » dans une série de six « veillées » l’histoire de Koyaga. La troisième veillée pourtant est consacrée au périple initiatoire de Maclédio et à sa recherche de l’ « homme de destin » qui pourra neutraliser son mauvais sort. Cette veillée a déjà attiré l’admiration et la curiosité des critiques par l’ambiguïté de sa signification. L’épisode porte les marques très prononcées de ce qu’on appelle le néobaroque. Cette esthétique de l’incertitude prône, outre des ambiguïtés ironiques, la métamorphose, le masque, un érotisme débordé et l’hybridité. Ces caractéristiques forment une arme contre la « logique » de l’Occident. L’errance initiatoire de Maclédio, tout en étalant « au hasard » une gamme extrêmement variée de cultures et de mentalités précoloniales, coloniales et postcoloniales, réussit à les relativiser complètement. Cette relativisation sert à déstabiliser les notions reçues à l’égard de la supériorité présumée des sociétés occidentales.
« Imaginaire de la chasse et création littéraire dans En attendant le vote des bêtes sauvages d’Ahmadou Kourouma », Adama COULIBALY, Université d’Ottawa
L’un des enjeux du renouvellement de l’écriture romanesque négro-africaine est la recherche de nouvelles stratégies narratives. La communication que nous proposons tente de montrer comment Kourouma, dans En attendant le vote des bêtes sauvages (1998), convoque un genre littéraire ancien de la littérature orale, le récit de chasse, pour produire un discours romanesque nouveau qui lui permet de dire la folie et l’impensable qui caractérisent l’univers politique négro-africain. L’imaginaire fécond de l’art de la chasse, par le jeu de transferts, souligne l’homme, animal politique (selon l’expression aristotélicienne), qui – comme aux premières heures de l’humanité – vit dans une logique de domination et de prédation pour être et paraître. La chasse devient ainsi praxis, logos et technique narrative.
« Birahima in motu ou la locomotion chez Ahmadou Kourouma », Pierre Kadi SOSSOU, Université d’Ottawa
Birahima in motu signifie Birahima en mouvement. Pour rendre la mobilité cognitivement accessible et analysable, Walter Moser propose, en s’inspirant des « scapes » d’Arjun Apparudai, un découpage de la dynamique de la mobilité en trois types de mouvement qu’il appelle respectivement : « locomotion », « médiamotion » et « artmotion ». Notre objectif est de mesurer la valeur épistémologique de la « locomotion » qui invoque « la mobilité des personnes », « le déplacement, la dislocation, la migration ou la fuite » (Moser). Deux œuvres d’Ahmadou Kourouma s’offrent à cet exercice : le roman Allah n’est pas obligé (2000) et le roman posthume Quand on refuse on dit non (2004). Dans le premier roman, le narrateur Birahima conte toute son aventure d’enfant-soldat au Libéria et en Sierra Leone de l’intérieur d’une voiture 4 x 4 qui va à Abidjan. Dans le roman posthume, l’espace du récit est la route Daloa-Bouaké qu’empruntent le même Birahima et Fanta pour fuir les atrocités de la guerre. En plus d’être espace de narration, la route joue dans les deux romans un rôle multidimensionnel que l’analyse fera ressortir. Il s’agira, pour éclairer certains enjeux de la mobilité, de lire ces romans comme des road novels, ces types de romans-scénario facilement adaptables aux road movies et caractérisés par la mise en scène de la route comme lieu de salut mais aussi de danger, lieu d’exclusion ou d’inclusion, ou comme lieu d’initiation.
« Idéologie de la pensée imageante chez Ahmadou Kourouma », Samuel ZADI, Wheaton College
L’oralité ouest-africaine privilégie la pensée imageante dont les modes d’expressions principaux sont la comparaison, la métaphore et le proverbe. Ce mode de pensée et d’expression ressurgit dans le roman Les soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma à des fins particulières. À travers une étude du style de l’œuvre, plus particulièrement des mécanismes de comparaisons et de métaphores, nous montrerons comment le narrateur se sert de la pensée imageante pour exprimer, d’une part l’ampleur de la destruction de sa culture traditionnelle opérée par la colonisation et son corollaire les indépendances, et d’autres part l’ampleur de la douleur qui découle de ce processus de destruction. Notre étude stylistique nous permettra de montrer que la pensée imageante de l’oralité qui était en voie de disparition renaît sous la plume de Kourouma pour se revêtir d’une nouvelle dimension.